Précieux trépas dans le Seigneur que cette entrée dans la vie éternelle au début du mois tout spécialement consacré au glorieux patriarche, Saint Joseph. Retiré à Corps, où il était né, auprès de ses bienfaiteurs les époux Jourdain, le berger de La Salette n'avait cessé d'épurer son âme dans le creuset de la souffrance depuis avril 1874. L'ancien rhumatisme articulaire contracté des années auparavant avait fini par se porter au cœur, déterminant une endocardite. A l'oppression de l'asthme qui le faisait étouffer a chaque instant et provoquait des quintes extrêmement pénibles se joignait une enflure jusqu'à mi-corps, si énorme qu'il lui était impossible de s'habiller et de se déshabiller seul. A peine deux améliorations miraculeuses, mais de courte durée, l'une en juillet à la suite d'une neuvaine à Notre-Dame de La Salette, l'autre en octobre après un grand élan de confiance envers cette Mère bien-aimée, lui avaient-elles procuré quelques semaines de répit. Un voyage à Grenoble vers la mi-décembre, en vue de solliciter d'urgence des secours réclamés par son état de pauvreté absolue, causa une rechute dont il ne devait pas se relever. Cependant, il eut encore la joie, très douce, d'un mieux subit obtenu le 1er février 1875 par des prières ferventes, de faire, pour la présentation de la très Sainte Vierge, une dernière communion dans l'église paroissiale où il avait été baptisé fin 1835 et où, pour la première fois, il avait reçu le Bon Dieu, l'amant des codeurs purs, en 1848.
Le 1er mars devait être le dernier jour de sa vie d'ici-bas. Comme s'il avait pressenti l'heure de sa délivrance, /le dimanche 28 février, il avait dit M. l'abbé Fuzier, archiprêtre de Corps qui était venu le voir, ainsi qu'il avait l'habitude de le faire presque tous les deux jours. Il avait dit: Lundi, Monsieur le Curé, nous ferons nos grandes affaires. De fait, le lundi, vers 3 heures de l'après-midi, le mal empira à vue d'œil. Averti, M. l'abbé Futier vint le confesser et lui proposa de lui administrer tes derniers sacrements ; ce qu'il accepta de grand cœur. Quelques minutes plus tard, le prêtre revient de l'église avec le Saint Viatique . le malade, qui était assis et priait dans le plus profond recueillement, se lève vivement, va au devant de Jésus Hostie et lui exprime de façon touchante ses sentiments d'adoration, d'humilité, de foi, d'amour. Puis il se rassie sur le fauteuil dont une charité exquise l'avait pourvu, récite à haute voix le confiteor et communie avec une ferveur indicible. Ensuite, il présente chacun de ses membres endoloris aux onctions saintes, s'unissant de cœur et de bouche aux formules de la liturgie, et reçoit l'indulgence du jubilé et de la bonne mort. Alors, il se fait mettre debout pour saluer et remercier avec effusion M. le curé, obligé de partir pour raison de ministère. Il fait seul quelques pas vers une table et les mains posées sur le bois, contemple un instant une belle Madone. Il se retourne, s'appuie sur le dossier de son lit de fer et exprime ses dernières intentions à sa mère adoptive et termine par ces paroles qui furent les dernières qu'il prononça. Que la très sainte Volonté de Dieu s'accomplisse en toutes choses
Il était à bout de force. Mme Jourdain le fit rasseoir et c'est la tête sur son épaule sans trouble, dans le calme le plus parfait, que Maximin Giraud, berger de La Salette, ferma doucement les yeux dans la clarté du jour en déclin pour les ouvrir à jamais à la lumière sans ombre du Soleil sans couchant. Heureux, ceux qui meurent dans le Seigneur! chante l'Église Immortelle sur le cadavre de ses enfants. La mort paisible de Maximin était la réalisation admirable du souhait qu'il formulait dans son /règlement du Séminaire . Que je ne craigne pas la mort et qu'au moment suprême, je sois assisté de la Très Ste Vierge de La Salette et que je la voie. Que la pureté soit dans mon cœur, mes pensées et mon corps, pour obtenir une bonne mort ! Que je meure avec mon chapelet! Que je meure de manière à n'avoir que le moins de temps possible à rester en purgatoire. Qu'au signal de la mort, saint Joseph vienne m'aider à passer de cette vie en l'autre et que je le voie!
La résignation la plus chrétienne: telle avait été la note dominante de sa longue et douloureuse maladie Jamais une plainte, jamais un murmure ne s’étaient échappés de ses lèvres. C'est en victime d'expiation unie à celle du Calvaire qu'il avait supporté ses lancinantes tortures Il répétait souvent « Mon Dieu, je vous l'offre! » Son mot habituel, dont nous trouvons l'expression dans ses lettres, était. « Que la très sainte volonté de Dieu, et non la mienne, s'accomplisse en moi, soit par la souffrance, soit par la santé C'est ce que je demande chaque jour dans mes prières » Son seul regret était de ne plus pouvoir remplir sa mission sur la montagne même de La Salette et ailleurs./ « Que n'ai-je le bonheur, écrivait-je à un curé qui J'invitait à venir raconter à ses paroissiens l'histoire de l'Apparition, de pouvoir aller répéter à vos populations que j'ai bien vu et entendu une Belle Dame, remontée au ciel Je 19 septembre 1946 et pour laquelle je suis prêt à donner non seulement ma pauvre vie, mais 10000 vies si je les avais, pour attester la réalité d'un si mémorable événement (22 juillet 1874) Toutefois il se rendait avec bonheur au désir des pèlerins qui, de retour de la Sainte Montagne, ne voulaient pas repartir sans l'avoir entendu faire son récit et répondre à leurs objections.
« Couché dans un grand état de souffrance, raconte M l'abbé Le Baillif, que de fois il lui fallut s'habiller non sans une extrême difficulté et descendre un escalier étroit et douloureux à ses pauvres jambes toujours très enflées. Souvent la foule était trop grande pour être contenue dans la maison, il était obligé de parler à la porte et de donner ensuite sa signature sans fin. Bien qu'il fût énormément fatigué par d'aussi longues séances, il ne se plaignait jamais. Jamais il ne manifestait aux pèlerins empressés et bruyants le plus léger déplaisir, il était toujours et pour tous bon, aimable, se dévouant pour satisfaire ceux qui, avides de s'instruire à fond sur l'auguste et céleste apparition, réclamaient les détails les plus circonstanciés et les plus précis Il s'exécutait encore de bonne grâce quand on montait le visiter jusque dans sa pauvre chambre. »
Il mit à profit le mieux passager survenu en octobre 1874 pour faire, les 4 et 5 novembre, l'ascension de sa chère montagne; par deux fois, d'abord, dans la salle des dames, en présence de la supérieure et des religieuses de La Salette, ensuite devant la statue de l'Assomption pour deux Frères de Saint-Viateur et un petit groupe de pèlerins, il fit la narration la plus captivante et la plus détaillée qui soit sortie de ses lèvres sur l'apparition de la Belle Dame Une dernière fois, il la répéta à ses intimes le 27 février, avant-veille de sa mort, et tout radieux, il ne pouvait s'empêcher de s'écrier « J'ai pu vous la redire aujourd'hui samedi en J'honneur de la Très Sainte Vierge' »
S'il devait renoncer à la faculté de publier partout le message de la Reine du paradis, du moins le berger de La Salette se dédommageait de cette Impuissance physique par un redoublement de ferveur à l'égard de cette bonne Mère Il ne cessait de s'adresser à elle, baisant avec piété son scapulaire, multipliant les neuvaines en son honneur, disant et redisant le chapelet Depuis longtemps le chapelet était sa plus chère dévotion Séminariste, étudiant, soldat ou jeune homme du monde, si avancée que fût la soirée, jamais il n'avait omis de le réciter avec dilection un seul jour. Mais maintenant que la souffrance le tenait confiné dans sa pauvre chambre, le chapelet était devenu sa prière pour ainsi dire continuelle, et, loin de diminuer sous le coup de l'épreuve, sa ferveur allait croissant d'intensité avec elle. C'est, certes, le trop-plein de son cœur qui s'épanchait lorsque, le 25 octobre 1874, il écrivait ces lignes à un ami . « Oh! que je l'aime, cette bonne Mère! Et si elle termine son œuvre je ne sais pas ce que je ne ferai point pour lui témoigner toute ma gratitude. Je n'ai fait ni promesse ni vœu de peur que je ne puisse accomplir ce qu'elle attendrait de moi, mais elle n'aura qu'à parler pour que l'aille d'un bout à l'autre du monde travailler à sa plus grande gloire. Que sa volonté soit faite, et non la mienne! Ce que je lui ai demandé, c'est qu'elle se laisse aimer par moi autant que cela me fera, plaisir, qu'elle ne me contrarie pas dans mon amour, dans mon affection toute filiale et si ardente pour elle. Oh I priez-la bien pour moi, afin que je l'aime davantage encore! »
Avec quelle ardeur il désirait là gloire de Marie !
« J'ai 39 ans, confiait-il, quelques mois de mourir, à l'abbé Servais, directeur de l'Archiconférie Réparatrice du blasphème, la mémoire, chez moi, est bien rouillée mais si la Très Sainte Vierge le voulait, malgré cela, que je me fisse prêtre, elle n'aurait qu'à lever le petit doigt, et aussitôt je me mettrais à l'oeuvre ! »
Quand, le 2 février 1875, un peu soulagé de son enflure, il avait, appuyé sur sa canne, entrepris une marche malaisée vers l'église pour communier en l'honneur de la Vierge Mère, il ne put s'empêcher de dire à Soeur Sainte¬ Thècle, surprise de le rencontrer « O bonne maman Thècle, il faut bien aimer la Très Sainte Vierge pour venir à l'église aujourd'hui! » Au plus fort de la maladie, son grand remède était de boire, par confiance en Marie, de l'eau de la fontaine miraculeuse confiance en saint Joseph
Sa confiance n'était pas moindre en son virginal époux, saint Joseph, patron de l'Église universelle et de la bonne mort, protecteur du pauvre et de l'orphelin Il se plaisait a réciter le chapelet en son honneur « Je ne lui demande, répétait-Il, rien que de m'assister à l'heure de ma mort. Il est si bon, qu'Il fera certainement quelque chose pour moi » Son désir était de lui faire ériger une chapelle et il avait déjà mendié dans ce but. La veille de sa mort, il s'entretenait avec ses visiteurs de la dévotion envers ce grand Saint, et, l'on avait convenu de commencer le lendemain une neuvaine au cours de laquelle le malade devait communier. C'est sans doute en récompense de
Cette tendre dévotion que le glorieux patriarche appela son petit serviteur au royal séjour du repos éternel le premier jour du mois qui lui est consacré et que les obsèques eurent lieu le mercredi 3 mars, au milieu d'un concours ému de clergé et de peuple
Confidence
De plus, il semble bien qu'on doive admettre qu'il vint consoler de sa présence les dernières heures du berger de La Salette Le 28 février, aux Soeurs Sainte- Thècle et Sainte-Valérie venues s'entretenir familièrement avec lui, comme elles le faisaient bien souvent, Maximin affirma la présence mystérieuse, de jour et de nuit, d'un inconnu dans sa chambre, ou plutôt l'ombre d'une personne invisible pour tout autre que pour lui Il en avait déjà parlé à M le curé et à d'autres visiteurs. Et jusque dans la nuit qui précéda sa mort, il ne put se défendre de s'assurer que c'était bien Mme Jourdain qui le veillait là, tout près de son lit, et de lui redire son étonnement pour [a présence d'une deuxième per¬sonne qui ne cessait de le veiller aussi » (Le Ballif, id p 573) Saint Joseph, à n'en pas douter, était venu l'aider à soutenir victorieusement le grand combat de l'agonie contre l'ennemi du salut. Mme Jourdain a narré cette lutte terrible qui se livra vers 5 heures dans l'âme de son cher enfant « Il était haletant, sa pauvre tête ruisselait de sueur Ce n'est qu'après avoir remporté la victoire qu'il rouvrit ses grands yeux comme sortant d'un état de léthargie. Je m'approchai encore plus près de lui pour lui entendre dire d'une voix altérée « Oh comme il en coûte pour remporter la victoire en prenant l'assaut contre un fort si bien rangé en bataille » Moi-même, en entendant ces paroles, j'étais saisie, sans mouvement Ce n'est qu'après quelques instants que sans mot dire je lui épongeai cette extraordinaire transpiration, dont i[ était entièrement couvert » (Inédit) M le curé étant venu dans la matinée s'informer des nouvelles du malade, celui-ci lui répéta « Je vois toujours autour de moi deux personnes, maman Jourdain et puis encore une autre; ou bien je la vois deux fois en même temps!» Faut-il s'étonner de ce fait extraordinaire, si l'on veut bien se rappeler qu'en 1859 Maximin avait déjà été assisté visiblement de saint Joseph dans l'église Saint-Sulpice à Paris Il en fit lui-même le récit dans une Conférence à Notre ¬Dame de Sainte-Croix du Mans, le 6 décembre 1863
En voici la relation, inédite, copiée sur le Procès-verbal de l'As¬sociation de Saint-Joseph audit collège.
« Maximin termine par un fait personnel propre à inspirer de la /confiance en Saint Joseph .Il raconte que, se trouvant à Paris dans un dénuement qu'il ne voulait pas faire connaître et n'ayant rien pris depuis quarante-huit heures, il eut la pensée de recourir à la Très Sainte Vierge et se rendit à l'église Saint-Sulpice dans sa chapelle, où i[ aimait à aller prier parce que la statue qui s'y trouve lui rappelait mieux que toute autre Notre-Dame de La Salette. Il pria long¬temps avec ferveur et, pendant deux heures, il attendit en vain ['effet de sa prière Désespéré et presque irrité, i[ dit à la Très Sainte Vierge « Eh bien Il puisque vous refusez de m'accorder ce que je vous demande, je vais m'adresser à votre époux, Il m'exaucera bien, lui, j'en suis sûr » Il priait quelque temps, lorsqu'il sentit quelqu'un lui frapper légère¬ment sur l'épaule, quoiqu'il n'eut vu personne dans l'église Il se retourne et voit un vieillard, qui lui était complètement Inconnu, lui faire signe sans mot dire de sortir avec lui de l'église Ce vieillard le conduit dans un petit hôtel, où il le fait manger, en lui recommandant de le faire lentement afin de ne point se faire mal, et après avoir payé, il lui dit « Soyez sage, et vous ne tomberez plus jamais dans une pareille nécessité si vous êtes fidèle à suivre la voie que je vous ai indiquée Au reste, vous avez eu tort de ne pas aller dans tel endroit (qu'il lui désigna), vous y auriez trouvé des recommandations; Il en est temps encore, une lettre vous y attend, mais hâtez-vous » A ces mots, le vieillard disparaît sans que Maximin ait jamais su ce qu'il était. On demande à Maximin s'il ne crut pas alors que ce vieillard fût saint Joseph Il répond qu'il n'oserait pas l'affirmer, qu'il n'avait vu dans cet événement qu'une grâce du bon Dieu Ce fait sans doute a contribué à faire dire à Maximin que saint Joseph nous exauce pour le temporel comme la Sainte Vierge pour le spirituel »
Le cœur de Maximin
Tandis que le cœur de Maximin, extrait et embaumé, a été porté au sanctuaire de Notre-Dame de La Salette, son corps repose dans le cimetière de Corps, en une fosse dont le Conseil municipal accorda la concession gratuite Une plaque de marbre blanc apposée au mur, face à [a grille d'entrée, signale la tombe au pieux visiteur par une Ins¬cription simple en !ettres dorées Tombe modeste, mais combien vénérable !
Le 11 septembre 1901, Mélanie Calvat qui était en pèlerinage à La Salette en compagnie de plusieurs prêtres, s'en fut avec eux sur cette tombe Arrivés à l'endroit, elle dit ces paroles textuelles « Disons un Pater et un Ave pour la gloire accidentelle de Maximin qui est au ciel » Quelques minutes après survient M. Barbe, ancien maire de Corps Elle fait de nouveau l'éloge du défunt « Pas de De profundis sur là tombe de Maximin! Il est au ciel. En êtes-vous bien sûre, ma soeur? » questionne l'un des prêtres présents -« Oui, j'en suis sûre » Et étendant la main sur la tombe, elle ajoute « Je le jure » Puis, prenant une fleur de cette tombe, elle l'offre à l'interrogateur, en disant « Gardez cette fleur, car elle a poussé sur la tombe d'un saint » C'est encore Mélanie qui a porté sur Maximin le Jugement qui sera celui de la postérité « Il a été martyr pour l'accomplissement de sa mission Mais vive Dieu! on peut bien dire avec vérité qu’il nage dans la g!oire, il recueille ce qu'il a semé dans les pleurs »
Le 10 octobre 1901
Ce Jugement fait écho à la déclaration publique du p Archier, supérieur des missionnaires de La Sa!ette « Vir¬ginitate floruit » il a conservé Intact le lys de la virginité C'est la thème de l'éloge funèbre prononcé sur la tombe au jour des funérailles . Ainsi, les paroles de l'un et de l'autre témoignent éloquemment que le berger de La Salette a su, avec la grâce de Dieu, être toujours fidèle à la recommandation que lui avait faite jadis par le père de Villefort, son directeur au Grand Sé¬minaire d'Aire, sans doute au nom de la Très Sainte Vierge « Va, va dans le monde comme l'onde pure d'un ruisseau à travers l'océan, sans rien emporter de son écume ni rien perdra de ta douceur et de la limpidité de ton âme »
Faites connaître Notre-Dame de la Salette à travers votre foi!
«Je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, J'entrerai. »
Comment répondras-tu à l'invitation de Dieu ?