La spiritualité conjugale par Yves Semens

La spiritualité conjugale (par Yves Semens)

PREMIÈRE CONFÉRENCE

Le pape Jean Paul II dit que la nature de l’un ou l’autre amour (dans la vie conjugale ou dans le célibat consacré) est sponsale, c’est-à-dire qu’il s’exprime par le don total de soi. L’un et l’autre amour tend à exprimer cette signification sponsale du corps qui est inscrite depuis l’origine dans la structure personnelle même de l’homme et de la femme…

Le 18 août 1982, lors de l’audience générale, le pape Jean Paul II disait : « Le mariage ne correspond à la vocation des chrétiens que s’il reflète l’amour que Christ-époux donne à l’Église son épouse et que l’Église s’efforce de donner au Christ en retour du sien. »

« L’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne s’accomplit pleinement que par le don sincère de lui-même » (num.24) Le mariage est donc fait pour nous permettre de nous donner nous-mêmes et de nous réaliser par là pleinement comme homme et comme femme. C’est pour cela que nous devons vouloir le mariage : pour réaliser la plénitude du don de nous-mêmes. C’est cette finalité du mariage que nous devons avoir avant toute chose à l’esprit et dans le cœur lorsque nous cherchons à nous marier. Le mariage ainsi conçu et voulu nous apportera sans doute tout un ensemble de satisfactions (et probablement aussi son lot de croix et de souffrances) mais alors ces satisfactions ne seront plus voulues et recherchées d’abord pour nous-mêmes. Elles seront reçues comme par surcroît, comme une forme de surabondance du don fondamental que nous avons consenti à faire de nous-mêmes pour l’autre. Et nous y trouverons le vrai bonheur, le plein accomplissement de nous-mêmes par l’offrande de nous-mêmes à l’autre.

3 choses importantes : AIMER, PARDONNER, SE PARDONNER
L’expérience des limites
Le mariage est un état de vie dans lequel nous ne pouvons manquer de faire l’expérience de nos limites, limites en nous, limites en l’autre. L’école de vie qu’est le mariage est d’abord une école des limites. Limites du corps de l’autre qui n’est jamais un idéal. Limites du caractère qui a ses défauts et ses dépendances à l’égard de l’éducation reçue, de l’histoire vécue, des blessures subies. Limites aussi de l’intelligence et même de la vie de foi…Ces limites, en nous, en l’autre, il nous faut d’abord les accepter. Davantage même, il nous faut les aimer. Et pour cela, commencer par les pardonner. Vouloir, ou seulement espérer changer l’autre est la grande illusion du mariage. L’autre est ce qu’il est, avec toutes ses limites et c’est cet autre-là, réel et non rêvé, qu’il nous faut aimer, pas un idéal….

Ce n’est qu’au bout de quelques mois ou années de mariage que, la fièvre amoureuse tombant, les limites se révèlent, douloureuses. Particulièrement les blessures de nature affective, sexuelle ou spirituelle subies dans l’enfance ou l’adolescence ne révéleront leurs effets qu’au bout de plusieurs années de vie commune et ceux qui les ont subies ne le savent pas toujours. La prise de conscience de ces limites peut engendrer une crise du mariage qui aboutit parfois à une séparation. « Ce n’est pas celui que j’ai épousé! Entend-on alors…Pourtant si!

Il est donc sage et honnête que les fiancés s’appliquent à se révéler mutuellement dans leurs faiblesses et leurs blessures, du moins celles dont ils ont conscience, et qu’elles soient considérées en vérité. Elles ne le seront jamais totalement et le « oui »qui est dit à l’autre le jour de l’engagement dans le mariage n’est jamais un oui en totale connaissance de cause. Il ne peut jamais l’être d’ailleurs. Cela supposerait, non seulement la capacité de se dire totalement, mais aussi celle de se connaître soi-même complètement, ce qui est doublement impossible. C’est ce qui constitue le risque de l’engagement du mariage et lui confère sa grandeur et sa noblesse. C’est ce qui fait le caractère inévitablement aventureux du mariage et explique pourquoi espérer s’appuyer sur les seules forces humaines pour en affronter les incertitudes, est si dangereusement présomptueux.

Le pardon, voie du don
Tant qu’on ne s’est pas pardonné à soi-même ses propres limites et que l’on n’a pas pardonné à l’autre les siennes, on ne peut atteindre à la vérité du don de soi-même…Accepter d’avoir un corps exige aussi que l’on accepte d’avoir ce corps-là, celui qui nous a été donné, avec ses imperfections et ses limites, car c’est ce corps-là qui nous a été donné par Dieu pour nous permettre de nous donner. Il y a donc une forme de pardon à nous donner à nous-mêmes qui doit nous conduire à une réconciliation avec nous-mêmes pour nous accepter avec notre corps bien réel et concret…

Pardon et communion
Nous sommes faits pour la résurrection qui sera notre état dans la vie « à venir ». C’est l’attente que nous exprimons chaque fois que nous récitons notre Credo : « J’attends la résurrection des morts et la vie du monde à venir. » Telle est notre espérance de chrétiens, une certitude que nous annonçons dans la Foi. Pour ceux qui en ont reçu la vocation, le mariage est la voie par laquelle ils sont appelés à se préparer à cette résurrection qui sera l’accomplissement plénier de l’humanité. Par quoi se caractérisera cet état de la résurrection? « Par un état de divinisation fondamentale de notre humanité » nous dit Jean Paul II le 9 décembre 1981. Qu’est-ce à dire? Simplement que la résurrection sera l’état de l’homme pleinement réalisé par l’accomplissement définitif de la signification sponsale de son corps…La participation à la vie intérieure (trinitaire) de Dieu, explique Jean-Paul II, pénétration de ce qui est essentiellement humain par ce qui est essentiellement divin, atteindra alors son sommet.(décembre 1981)…

La liturgie des corps
« Tous deux, l’homme et la femme, s’éloignant de la concupiscence, trouvent l’exacte dimension de la liberté du don, unie à la féminité et la masculinité, dans la vraie signification sponsale du corps. Ainsi la langue liturgique devient dans leur vie, dans leur coexistence, un langage du corps d’une profondeur, d’une simplicité et d’une beauté jusqu’à ce moment inconnues. Sur cette voie, la vie conjugale devient en un certain sens liturgie. » ( Jean Paul II, audience du 4 juillet 1984)

Le sacrement primordial
« Et de cette manière se constitue un sacrement primordial entendu comme signe qui transmet efficacement dans le monde visible le mystère invisible caché en Dieu de toute éternité…(20 février 1980). Du plan de Dieu aux origines, il demeure dans le cœur de tout homme et de toute femme comme « un écho lointain » dit également Jean-Paul II, comme une forme de nostalgie. Et c’est ce qui provoque en nous le sentiment- juste- que notre sexualité comporte une certaine grandeur, une noblesse, même si nous avons conscience de notre péché, souvent, de nos blessures, parfois, de notre misère et de notre pauvreté, toujours…Toute l’œuvre de la création est faite pour révéler le cœur de Dieu, pour être une manifestation rayonnante de l’être même de Dieu. C’est pourquoi on peut parler de « sacrement de la création » dans le sens ample et ancien du mot sacrement qui signifie « dévoilement du mystère caché en Dieu ». Toute la création comme œuvre de Dieu qui le révèle est bonne. En atteste cette phrase de la Genèse qui sanctionne chaque jour de la création : « Dieu vit ce qu’il avait fait. Cela était bon ». Mais au sommet de la création, Dieu a placé l’homme, homme et femme, comme le chef-d’œuvre de sa création, car l’union de l’homme et de la femme dans le plan de Dieu aux origines était destinée à révéler ultimement après la création de l’homme et de la femme, que le texte de la Genèse dit de toute la création que « cela était très bon » (Gn.1,31), car dans la création de l’homme et de la femme s’achève et s’accomplit l’œuvre de Dieu et sa révélation à travers son œuvre. C’est pourquoi, dit Jean-Paul II, « le sacrement est sacrement en tant que partie intégrante et, dirais-je, point central du sacrement de la création. En ce sens il est un sacrement primordial » (audience du 6 octobre 1982)

Prendre conscience de ce qui était la splendeur du plan de Dieu aux origines sur la sexualité humaine, la contempler en nous exerçant à la pureté du cœur est une première étape qui nous permet de vivre l’union des corps comme une liturgie, c’est-à-dire comme une célébration du divin et donc de nous réconcilier avec notre sexualité plutôt que de nous opposer à elle. Notre sexualité est foncièrement bonne, même si notre cœur blessé nous en rend le vécu intégral du sens difficile. Elle est ce par quoi le créateur à l’origine a voulu se dire de la manière la plus profonde en même temps que la plus humble…

Ne pas séparer ce que Dieu a uni
« L’homme est devenu image et ressemblance de Dieu par la communion des personnes que l’homme et la femme forment dès le début. En effet, « dès l’origine » il est essentiellement image d’une insondable communion divine de Personnes » ( audience du 14 novembre 1979). L’homme n’est pas image de Dieu par le seul fait qu’il est une créature douée de spiritualité. Si l’image de Dieu était une qualité conférée par la seule spiritualité, les anges mériteraient infiniment plus que l’homme d’être qualifiés d’images de Dieu, eux qui sont purs esprits. Chaque ange est en effet un reflet sublime d’une dimension de l’intelligence divine, mais être image de Dieu est le privilège de l’homme, homme et femme..

La vocation du corps
Le projet d’amour de Dieu sur toute la création était de placer à son sommet l’union charnelle de l’homme et de la femme, de telle sorte que par elle le mystère même de Dieu fût « dit » et manifesté. « Le corps et seulement lui est capable de révéler ce qui est invisible, le spirituel et le divin. Il a été créé pour transférer dans la réalité visible du monde le mystère caché en Dieu de toute éternité et en être le signe visible », ose dire Jean-Paul II (20 février 1980). Rendre visible le mystère de Dieu, telle est la vocation du corps humain fait pour le don, un don qui se réalise en plénitude dans l’union charnelle. Le corps et seulement lui..Pas la sublime intelligence des chérubins qui possèdent la perfection de la science de Dieu, ni celle des séraphins, ces anges qui occupent le sommet de la hiérarchie des êtres célestes. Non, le corps humaine et seulement lui » Ce qu’il y a de plus humble, de plus pauvre, parfois de plus misérable dans son expression- le don des corps- est fait pour être épiphanie du divin.

La sexualité selon Jean-Paul II
Bibliographie : Yves Semens, éditions presses de la renaissance.

Comment bien vivre avec une âme et un corps, un corps sexué?
Comment parvenir à faire l’unité de ces deux dimensions qui nous font ce que nous sommes et qui pourtant nous semblent ennemies?
La religion chrétienne est en effet d’abord et avant tout une religion du corps car elle repose sur la foi dans l’incarnation du Verbe de Dieu. Notre raison et notre cœur ont du mal à accepter que Dieu ait pu choisir de connaître et d’aimer jusqu’aux limites de notre corps. Nous atteignons là au cœur de l’exigence la plus profonde de la foi chrétienne.
Jean-Paul II dit : « La théologie du corps n’est pas tellement une théorie mais plutôt une pédagogie du corps spécifique, évangélique et chrétienne » Comme pédagogie, cette théologie du corps est une manière d’apprivoiser notre corps, et même de nous réconcilier avec lui, en le comprenant et en le voyant à sa place dans le plan de Dieu à l’origine, à l’époque- pour reprendre les mots mêmes de Jean-Paul II- de la « préhistoire théologique de l’homme »

L’enseignement que Jean-Paul II a développé sur plus de quatre années a ainsi été redéployé en quatre chapitres. Tout d’abord le plan de Dieu aux origines sur la création de l’homme et de la femme « préhistoire théologique de l’homme », dont Jean-Paul II nous dit qu’il subsiste encore dans les profondeurs du cœur de l’homme à la manière d’un écho lointain : joie de la création, joie de la découverte mutuelle, joie de la communion, plénitude de la transparence du regard des personnes sur leur masculinité et leur féminité… Dans un second temps, le péché des origines, rupture volontaire de l’homme et de la femme avec le plan de Dieu, et son cortège de conséquences qui entravent le désir de communion sommeillant dans le cœur de chaque homme et de chaque femme : révolte, souffrance, incompréhension, désunité, domination, exploitation…Ensuite la rédemption du corps permise par l’incarnation du Verbe et sa résurrection qui annonce la nôtre, l’élévation de la signification du corps qui, par la grâce du sacrement de mariage, devient signe de l’union du Christ-Époux, l’Église. Enfin, dans la pleine lumière du plan de Dieu aux origines, de la rupture du péché, de la rédemption et de la promesse de la glorification de nos corps, comment et à quelle conditions l’acte sexuel des époux, dans la grâce du sacrement de mariage, est appelé à devenir œuvre de sainteté, non seulement pour les époux eux-mêmes, mais pour toute l’Église.

Approche inédite de la sexualité
Dans le christianisme, le corps ne peut qu’être célébré, aimé et respecté. Saint Paul ne dit-il pas : « Glorifiez dieu dans votre corps » et saint François de Sales : « le chrétien doit aimer son corps comme une vivante image de celui du Sauveur incarné » C’est d’ailleurs là la raison pour laquelle on doit à l’Église d’avoir initié une foule d’œuvres de bienfaisance et d’assistance qui avaient pour objet de venir en aide au corps et d’en soulager les souffrances. C’est à elle aussi que l’on doit une valorisation du travail manuel comme équilibre nécessaire à la vie contemplative, alors que, dans l’Antiquité grecque et romaine, il était considéré comme le lot des esclaves. Dans les premiers temps du christianisme, un philosophe païen comme Celse, néoplatonicien et adversaire du christianisme, désignait péjorativement les chrétiens du sobriquet de « philosomaton genos », »le peuple qui aime le corps. »

Le Père Finet, fondateur avec Marthe Robin des Foyers de Charité, avec le grande sens pédagogique qui caractérisait ses prédications de retraites, définissait ainsi la Trinité : « Le Père est tout l’Amour donné, » nous ne sommes que de « l’amour donné »; le Fils est « tout l’Amour reçu », nous ne sommes que « de l’amour reçu »; l’Esprit est « tout l’Amour échangé », nous ne sommes que « de l’amour échangé ». L’échange d’amour, le don mutuel des personnes dans le mariage, précisément parce qu’il est marqué par l’expérience de la limite, doit se prendre à partir de l’archétype du don, celui –total- des Personnes dans la Trinité divine. Telle est bien l’idée théologie du mariage que l’on trouve chez Jean-Paul II : une manière pour Dieu de manifester le don qu’Il est en Lui-même, autrement dit son essence même. La nature nous montre que l’acte sexuel, dans le règne animal, est ordonné à la procréation et que, chez l’homme, il est doté d’une signification supplémentaire du fait qu’il est un être raisonnable et libre. Le respect de la loi naturelle impose donc qu’il y ait, dans l’union sexuelle de l’homme et de la femme, la coexistence de la dimension procréative et de la dimension unitive.

LA THÉOLOGIE DU CORPS
La théologie du corps se développe en quatre ensembles.
✔ Le premier ensemble comporte 23 audiences, du 5 septembre 1979 au 2 avril 1980, et porte sur le thème du plan de Dieu sur l’homme et la femme «; à l’origine » en réponse à la question adressée par les pharisiens à Jésus : « Est-il permis de répudier sa femme? (Mt. 19,3-9).

✔ Le deuxième ensemble débute le 16 avril 1980 par une réflexion sur la pureté du cœur à partir du passage du Sermon sur la montagne consacré à l’adultère (Mt.5,27-28) et s’achève le 6 mai 1981 après 40 audiences.

✔ Un troisième ensemble s’appuie sur la réponse du Christ aux sadducéens sur la résurrection (Mc.12,20-23) et comprend 45 audiences entre le 11 novembre 1981 et le 9 février 1983.

✔ Le dernier ensemble comprend 21 audiences, soit du 23 mai au 28 novembre 1984, dont 15 consacrées spécifiquement à un commentaire et un développement de l’encyclique Humanae Vitae de Paul VI, commentaire dont Jean-Paul Ii dit qu’il constitue la réalisation de son intention initiale. On aboutit ainsi, au terme de la théologie du corps, à une vision du mariage et de la sexualité humaine d’une ampleur et d’une profondeur sans équivalent dans tout l’enseignement du Magistère. Tout relent de manichéisme est définitivement extirpé des questions concernant le corps et al sexualité. Le mariage est affirmé comme une œuvre de sainteté jusque dans et par les actes de la chair. Les époux chrétiens qui s’unissent dans une totale communion de leur esprit, de leur cœur et de leur corps dans une ouverture à la vie, contribuent par la grâce de leur sacrement de mariage à la sainteté de l’Église dans le mystère de la Communion des saints.



   DEUXIÈME CONFÉRENCE


La sexualité selon Jean-Paul II  (par Yves Semens)

DEUXIÈME CONFÉRENCE
Bibliographie : Yves Semens, éditions presses de la renaissance.
L’humilité de l’incarnation

La nudité des corps

Depuis le péché des origines, le cœur de l’homme et de la femme est blessé et le regard qu’ils posent désormais sur le corps de l’autre est faussé. Dans l’état d’innocence originelle, cet « état de grâce » qui correspond au temps béni d’avant le péché, l’homme et la femme étaient capable de voir dans les signes corporels de leur masculinité et de leur féminité des invitations à une plénitude de communion destinée à les établir concrètement dans leur vocation d’image de la communion d’amour des personnes divines. Le regard qu’ils portaient alors sur le corps de l’autre, et spécialement sur les signes sexuels du corps de l’autre, était alors parfaitement pur et transparent et ces signes étaient l’occasion pour l’un et pour l’autre d’une vraie jubilation car ils étaient signes de leur commune vocation d’image de Dieu. La finalité de communion de ces signes s’imposait à eux dans une tranquille et splendide évidence. Ces signes pouvaient alors être célébrés dans la jubilation partagée à l’égard de ce pour quoi ils étaient faits dans le plan de Dieu.

Avant le péché, par leurs corps faits pour la communion, l’homme et la femme sont capables d’une pleine appréhension de la finalité sponsale de leur corps et, par conséquent, d’une pleine conscience de la valeur des signes somatiques, corporels, de leur sexualité : leur corps, dans et par leur masculinité et leur féminité, sont faits pour leur permettre d’accomplir leur pleine identité qui est d’être images de Dieu. L’absence de honte dans la nudité originelle que mentionne la Genèse (2,25); « Or, ils étaient nus l’un devant l’autre et ils n’avaient pas de honte ») exprime précisément cette plénitude de la conscience de l’être même de leur corps…Dans sa dernière œuvre poétique, « Triptyque romain », Jean Paul II évoque magnifiquement ce temps de l’innocence des origines : « Nus, tous deux…Tant qu’ils conservaient ce don, ils n’avaient pas honte. Avec le péché viendra la honte, mais pour l’instant, c’est l’extase qui dure. Ils vivent, conscients de ce don, même s’ils ne savent pas le nommer. Ils en vivent. Ils sont purs. (triptyque romain, 3). De manière inverse, lorsque la communion est rompue ou a été blessée, le premier réflexe est de soustraire la nudité de son corps au regard de l’autre. A l’issue d’une dispute ou d’une scène de ménage, on sait qu’il est très difficile de se dévêtir devant l’autre avant qu’une démarche de pardon ait permis, au-delà de la réconciliation, d’admettre qu’on laisse le regard de l’autre se poser sur notre corps dénudé.

La nudité des âmes.
Le fond de la question, c’est que seule la communion des âmes permet la vérité de l’union des corps dans le respect intégral de la signification de cette union. On peut vivre, même entre mari et femme, même entre chrétiens unis sacramentellement dans le mariage, l’union des corps sous le mode de la séduction ou de la domination, autrement dit dans une falsification du langage du corps hérité du péché. Mais alors l’union des corps n’est plus l’expression du don inconditionnel des personnes; elle n’est plus la réalisation de cette vocation « sponsale » du corps humain, pour reprendre une expression chère à Jean-Paul II, cet appel au don de soi des épousailles ( du latin sponsus, sponsa : époux, épouse). Cette signification du langage du corps, la communion vraie des âmes dans une prière effective et partagée la rend comme impossible, sauf à verser dans l’hypocrisie spirituelle d’une prière factice ou uniquement formelle.
Cette acceptation de se rendre vulnérable dans ce qui est le plus intime à nous-mêmes est ce qui rend en même temps l’amour des époux plus fort que la mort, comme en témoignent dans l’Écriture Tobie et Sara qui se livrent l’un à l’autre dans une prière commune avant de se livrer l’un à l’autre dans le don de leurs corps : « La prière de Tobie, dit Jean-Paul II, qui est avant tout une prière de louange et de remerciement, puis une supplication, place le langage du corps sur le terrain des termes essentiels de la théologie du corps…

C’est l’œuvre essentielle de vraies fiançailles – une fois fait le premier discernement sur le choix de l’autre- que de préparer par l’union des âmes à la plénitude de l’union des corps. C’est leurs âmes que les fiancés doivent apprendre à dévêtir pour être capables, le jour venu, de dévêtir leurs corps dans une totale transparence et liberté. Et l’expérience apprend que si cet apprentissage n’est pas fait durant les fiançailles, il est bien difficile de l’entreprendre après le mariage. La capacité de prier ensemble dans une vraie liberté spirituelle est d’ailleurs un des gages les plus sûrs d’un mariage solide et doit constituer pour les fiancés un élément de discernement capital.



TROIXIÈME CONFÉRENCE


Le plan de Dieu sur la sexualité humaine  (par Yves Semens)

TROIXIÈME CONFÉRENCE

Le Créateur, dès l’origine, les fit homme et femme » et « dès l’origine », il n’en fut pas ainsi ». Cette origine, ce sont les tout premiers temps de l’humanité qui nous sont relatés au début de la Bible dans le livre de la Genèse. Jean-Paul II en parle comme de la « préhistoire théologique » de l’humanité, ces temps qui précèdent ceux de « l’homme historique », qui est l’homme d’après le péché, d’après la chute originelle. L’histoire humaine débute avec le péché des hommes; les « origines » précèdent l’histoire humaine. D’une certaine manière elles sont « le temps d’avant le temps » et il nous est difficile de nous faire une idée de la situation réelle de l’homme dans cet état. Et pourtant- son insistance est significative à cet égard- c’est à ces origines que Jésus fait appel pour répondre à la question précise des pharisiens sur l’attitude que l’homme doit avoir à l’égard de sa femme. C’est pourquoi Jean-Paul II nous invite à la suite de Jésus à revenir à ce dont témoigne le texte inspiré de la Genèse.

Ce plan de Dieu sur le corps de l’homme et de la femme aux origines, nous le verrons en trois moments, qui suivent l’ordre des premiers discours de Jean-Paul II :

1. La question , dans la Genèse, de la solitude originelle de l’homme, expérience à travers laquelle il se découvre en tant que personne.
2. Le mystère de la communion et de l’unité de l’homme et de la femme à travers la création de la femme.
3. L’expérience de la nudité à partir du commentaire de Jean-Paul II sur « ils étaient nus et n’en avaient point honte », car cette absence de honte dans l’état d’innocence originelle est révélatrice d’un vécu authentique de la vocation du corps humain.


La solitude originelle
Prenons d’abord le premier récit de la Genèse, dit récit « élohiste ». Il y a en effet deux récits de la création du monde au début de la Genèse. Celui que le texte biblique nous donne en premier est en fait le plus récent historiquement; c’est le récit que l’on dit « élohiste » car Dieu y est appelé « Elohim ». Le second récit, par lequel débute le chapitre 2 du livre de la Genèse, est beaucoup plus ancien, plus archaïque; Dieu y est désigné par « Yahvé » d’Où son nom de récit « yahviste ». Le récit élohiste met directement Dieu en scène dans l’œuvre de la création qui s’achève par la création de l’homme et de la femme : « Dieu dit : Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages, et toutes les bestioles qui rampent sur la terre. Dieu créa l’homme à son image; à l’image de Dieu Il le créa, homme et femme Il les créa. Dieu les bénit et leur dit : soyez féconds, multipliez-vous, emplissez la terre et soumettez-la, dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et sur tous les animaux qui rampent sur la terre. »

Que retenir de ce texte?
1. L’homme et le monde sont créés ensemble. Mais le Créateur ordonne à l’homme de maîtriser la terre et de la dominer. Donc l’homme est créé très nettement au-dessus du monde visible.
2. Il n’y a pas de ressemblance de l’homme avec les autres créatures, mais seulement avec Dieu. Et surtout, il n’est fait état dans le texte d’aucune ressemblance de l’homme avec les animaux.
3. On constate une rupture dans la continuité de l’œuvre créatrice lorsqu’on arrive à l’homme. Pour tout ce qui et créé avant l’homme, chaque acte créateur commence par « Dieu dit » et se continue par « Dieu fit ». Lorsqu’on arrive à la création de l’homme, Dieu dit : « Faisons ». Ce pluriel a toujours été interprété- en tout premier par saint Augustin- comme un retour de Dieu sur sa propre intimité. Il désigne le pluriel de la Trinité des Personnes divines : c’est donc la Trinité divine tout entière qui est à l’œuvre dans la création de l’homme et de la femme.
4. La différence sexuelle n’est mentionnée que pour l’homme et la pour la femme. Elle est énoncée juste après l’affirmation du fait que l’homme est à l’image de Dieu. Cela signifie que la différence sexuelle est image de Dieu et bénie de Dieu. Ans le texte de la Genèse, la différence sexuelle, avec tout ce qu’elle suppose, est une chose bonne : l’homme et la femme sont image de Dieu, non pas malgré, mais avec cette différence sexuelle.

Continuons la suite du récit yahviste ( le plus ancien) : « Au temps où Yahvé Dieu fit la terre et le ciel, il n’y avait encore aucun arbuste des champs sur la terre et aucune herbe des champs n’avait poussé, car Yahvé Dieu n’avait pas fait pleuvoir sur la terre et il n’y avait pas d’homme pour cultiver le sol. Toutefois, un flot montait de terre et arrosait toute la surface du sol. Alors Yahvé Dieu modela l’homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie, et l’homme devint un être vivant (…) Yahvé Dieu dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie. Yahvé Dieu modela encore du sol toutes les bêtes sauvages et tous les oiseaux du ciel, et Il les amena à l’homme pour voir comment celui-ci les appellerait : chacun devait porter le nom que l’homme lui aurait donné. L’homme donna des noms à tous les bestiaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes sauvages, mais, pour un homme, il ne trouva pas d’aide qui lui fût assortie ».

Points majeures de ce texte de la création
1. D’abord, encore une remarque de vocabulaire. L’homme qui est tiré de la glaise, du limon de la terre au tout début du récit est appelé ha adam. C’est de là qu’a été tiré le prénom du premier homme-masculin, Adam, mais à ce stade, adam n’est pas encore un prénom; c’est uniquement un terme qui désigne l’humanité en général, sans mention du sexe, et c’est pourquoi il faut l’écrire sans majuscule. C’est seulement à la fin du récit, au moment de la création de la femme, que seront employés les termes ish et isha. Les mots zakar et geba, désignent le mâle et la femelle quelle que soit l’espèce. Les mots ish et isha, désignent respectivement et uniquement l’humain masculin et l’humain féminin. Cela peut sembler de l’exégèse un peu technique. C’est en réalité un point capital pour bien comprendre le texte et c’est pourquoi Jean-Paul II y insiste.

2. L’homme tiré du limon de la terre est, là encore, comme dans le récit élohiste, désigné sans référence au sexe. La femme est nommée isha parce qu’elle est tirée du ish, de l’homme, ce qu’on ne peut percevoir dans le texte français, en particulier dans la suite du texte, quand l’adam, devenu à partir de ce moment-là, Adam, dit : « Celle-ci sera appelée femme, car elle fut tirée de l’homme celle-ci! ». En hébreu, c’est clair : isha est tirée de ish, même étymologiquement. Et l’homme « dont il n’est pas bon qu’il soit seul », l’homme qui connaît la solitude des origines et en est atteint dans son être (« il n’est pas bon que l’homme soit seul »), n’est encore ni masculin, ni féminin puisque la distinction sexuelle n’apparaîtra qu’après la création de la femme.

3. L’homme est le seul à pouvoir cultiver la terre et la dominer. « Au temps où Yahvé Dieu fit la terre et le ciel (…) il n’y avait pas d’homme pour cultiver le sol » dit le texte. Cela nous montre que l’homme est capable d’une activité spécifique qui consiste à cultiver la terre et la gouverner et qui le révèle comme un être supérieur, spécifiquement différent de tous les autres êtres de la nature. Il n’est pas seulement supérieur selon un degré de perfection : il est présenté comme radicalement différent de tout ce qui existait sur la terre avant lui.

4. L’homme a le pouvoir de nommer les animaux : « chacun devait porter le nom que l’homme lui aurait donné ». L’homme est ainsi révélé comme ayant une connaissance parfaite de la nature, car on ne peut nommer que ce que l’on connaît. On doit comprendre ici le fait de nommer non pas au sens de désigner, mais au sens de dire par le nom ce qu’est la chose ou l’être que l’on nomme. Si l’homme est appelé à nommer chacun des animaux, cela veut dire qu’il a une connaissance de l’intimité, de l’essence même de chaque être, et donc de la totalité de la nature dans l’intimité même de son être. Il connaît la nature en quelque sorte « de l’intérieur ».

5. Dans l’exercice de ce pouvoir sur la nature, l’Homme, l’adam, se découvre seul, sans aide qui lui soit assortie. Il nomme tous les êtres de la création, mais ne trouve pas son équivalent parmi les animaux, aucun être qui soit comme lui une personne et à qui il puisse se donner, réalisant ainsi la vocation de toute personne. Jean-Paul II insiste sur le fait que c’est par son corps et dans son corps que l’Homme découvre qu’il ne peut se donner à aucun des êtres qu’il connaît et par conséquent qu’il est seul.

6. La souffrance de ne trouver personne à qui se donner se double d’une sorte d’angoisse existentielle, car le fait de découvrir qu’il est le seul dans la nature à être une personne est d’une certaine manière terrifiant. Il faut bien comprendre en quelque sorte « de l’intérieur » cde sentiment qui envahit le cœur de l’adam : il découvre qu’il est une personne dont l’accomplissement consiste à se donner à une autre personne et dans tous les êtres de la création qu’il connaît pourtant à l’intime de ce qu’ils sont, il ne découvre aucun autre être personnel capable de recevoir le don de lui-même. Il s’agit donc d’une solitude radicale, totale, qui n’est pas seulement de nature affective et sensible, mais qui se situe au plan même de l’être : une solitude ontologique terrifiante et angoissante.

L’unité des origines
« Alors Yahvé Dieu fit tomber un profond sommeil sur l’homme, qui s’endormit. Il prit une de ses côtes et referma la chair à sa place. Puis, de la côte qu’il avait tirée de l’homme, Yahvé Dieu façonna une femme et l’amena à l’homme. Alors, celui-ci s’écria : « A ce coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair! Celle-ci sera appelée femme, car elle fut tirée de l’homme celle-ci ». C’est pourquoi l’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair. »

Quels enseignements Jean-Paul II nous invite-t-il à tirer de ce passage?
1. Le sommeil de l’adam n’est pas un sommeil de rêves ou de songes. C’est une torpeur, qui est un sommeil d’un type très particulier. Sur ce point, Jean-Paul II développe un commentaire dans lequel il montre que la torpeur est toujours le signe d’une intervention divine radicale visant à créer une alliance entre Dieu et l’homme. Cette initiative divine appelle en retour, de la part de l’homme, une réponse conforme à sa vocation. C’est pour cela que la torpeur est liée à un effroi devant le caractère solennel de ce qui va arriver. C’est ce qui se passe par exemple au moment de la passation de l’Alliance entre Yahvé et Abram qui deviendra Abraham. « Comme le soleil allait se coucher, une torpeur tomba sur Abram et voici qu’un grand effroi le saisit. Pour l’adam, l’enjeu, c’est l’Alliance de la création ; pour Abram, c’est l’enjeu de l’Alliance avec le peuple élu; pour Jésus, c’est l’enfeu de la nouvelle Alliance de la Rédemption dans son sang. Le sommeil de l’adam est donc un moment crucial en ce qu’il va engager toute l’histoire de l’humanité. Le moment de cette torpeur, c’est le moment le plus solennel de toute la création, c’est le moment où va se réaliser l’Alliance radicale entre Dieu et l’homme par la création. Jusqu’alors elle n’est pas encore réalisée : l’homme n’est pas encore complètement image de Dieu; il ne le sera qu’avec la création de la femme.

2. Quelle est la signification de la côte? On connaît le mot fameux de Bossuet qui, attribuant à Ève la responsabilité de la faute originelle parce que, la première, elle a cédé à la tentation du serpent et a ensuite engagé son mari à faire de même, la qualifiait de « funeste côtelette »! que signifie le fait que Dieu modèle la femme à partir de cette côte tirée du côté de l’adam? Cela exprime l’homogénéité ontologique totale, au plan de leur être, de l’un et de l’autre : la femme est de la même humanité que l’homme. Ce qui est intéressant à noter ici, c’est qu’en sumérien, le signe cunéiforme qui désigne la côte signifie en même temps la vie. Le fait que ce soit d’une côte de celui qui, dès lors, devient Adam qu’est tirée la femme signifie qu’elle est tirée de la vie même d’Adam, qu’elle partage avec lui la même humanité de manière radicale : elle est de la même vie que lui, donc sa parfaite égale.

3. Quand le premier homme mâle (vir, andros), que l’on peut alors prénommer Adam, dit de la femme devant lui « l’os de mes os », comme « l’être de mon être ». De même pour l’expression « chair de ma chair ». Car, chez les Hébreux, le corps, la chair, exprime la personnalité tout entière. Par conséquent, c’est l’être de mon être, la personne de ma personne, mon alter ego, mon autre moi.

4. « c’est pourquoi l’homme quitte son père et sa mère et ils deviennent une seule chair ». Cela signifie que l’acte sexuel est ce qui permet à l’homme le dépassement de la solitude humaine inhérente à la constitution de son corps. C’est dans l’acte sexuel qu’ils deviennent une seule chair après le chant d’amour de la reconnaissance de l’autre comme personne. L’acte sexuel est l’expression de cette communion. (…) En réalité l’homme et la femme sont surtout image de Dieu en tant que personnes appelée à la communion. Puisque l’homme et la femme sont des êtres incarnés dont le corps exprime leur personne, cette communion des personnes inclut la dimension de la communion corporelle par la sexualité. C’est pourquoi, Jean-Paul II n’hésite pas à dire : « Ceci va même peut-être jusqu’à constituer l’aspect théologique le plus profond de tout ce qui peut être dit sur l’homme.
Dans ce don des personnes, il y a une révélation mutuelle, qui est le fruit de la communion : l’homme révèle sa femme en se donnant à elle, la femme révèle l’homme en acceptant le don de son époux, et en le lui restituant, comme dans la Trinité divine le Père se révèle dans le Fils et le Fils redit les merveilles du Père. Dans la Trinité, le Père est tout l’Amour donné, le Fils est tout l’Amour reçu et rendu au Père, et la fécondité de cet échange, c’est l’Esprit Saint. C’est exactement la même chose dans la communion des personnes dans l’était d’innocence originelle : la femme révèle l’homme, l’homme révèle la femme, l’homme se révèle dans sa femme et la femme se redit dans le don de l’homme. Dans cette révélation mutuelle, qui s’épanche dans leur fécondité, ils expriment leur être de personne, ils réalisent la communion de leurs personnes et sont l’image vivante, incarnée dans la chair, de la communion des Personnes divines y compris dans l’union des corps. Cela veut dire que, dans l’intention divine, le sexe n’est pas un attribut accidentel de la personne. Si l’homme peut se donner à cet alter ego qu’est la femme, c’est parce qu’il y a cette différence sexuelle qui n’est pas seulement somatique, mais va jusqu’à une différence spirituelle, affective, psychologique. C’est dans et par cette différence qu’il ya une possibilité de don et de communion.

La nudité de l’innocence
« Or, tous deux étaient nus, l’homme et sa femme, et ils n’avaient pas de honte l’un devant l’autre. » Même entre mari et femme, on sait qu’il est très difficile d’être avec simplicité dans un état de nudité. Se tenir nus l’un devant l’autre en étant intérieurement apaisés, dans un état de totale confiance vis-à-vis de l’autre, demande une grande maturité dans la communion conjugale. Nous avons, en effet, du mal à accepter notre propre corps avec toutes les imperfections que nous lui attribuons- réelles ou imaginaires- et cela suppose une immense transparence et une totale confiance dans le regard et l’attitude intérieure de l’autre. Quand on se dévoile dans la nudité de son corps, on se met en état de vulnérabilité…Cette absence de honte que mentionne le deuxième récit de la Genèse est donc particulièrement importante, car elle nous renseigne sur la qualité du regard des origines sur le corps de l’autre et nous montre que l’expérience de la communion homme-femme aux origines de l’humanité était toale.

Jean-Paul II précise pourquoi il n’y a pas de honte dans l’état d’innocence des origines : « Seule la nudité qui fait de la femme l’ »objet » pour l’homme et vice versa est source de honte. Le fait qu’ils n’éprouvaient pas de honte, veut dire que la femme n’était pas pour l’homme un « objet » pas plus que lui ne l’était pour elle. D’une certaine manière, l’innocence intérieure comme « pureté de cœur » rendait impossible que l’un soit réduit par l’autre au niveau de simple objet. S’ils n’éprouvaient pas de honte, cela veut dire qu’ils étaient unis par la conscience du don, qu’ils avaient réciproquement conscience de la signification conjugale de leurs corps qui exprime la liberté du don et manifeste toute la richesse intérieure de la personne en tant que sujet. Cette pénétration réciproque de l’ego des personnes humaines, de l’homme et de la femme, semble exclure subjectivement n’importe quelle réduction au rang d’objet.



QUATRIÈME CONFÉRENCE


La signification conjugale du corps (par Yves Semens)

QUATRIÈME CONFÉRENCE
La signification conjugale du corps

Si, à la suite de Jésus, on remonte aux origines, on découvre que le corps a une signification conjugale parce qu’il est fait pour être donné dans le don conjugal, le don des épousailles. C’est dans cette capacité de don qui nous confère notre dignité de personne. C’est la marque propre de la personne : seule une personne est capable de se donner et c’est dans le don libre d’elle-même que la personne réalise ce pour quoi elle est faite. Nous sommes ainsi appelés à nous donner par notre corps et avec tout ce qu’il inclut : notre affectivité, notre sensibilité, notre psychologie, notre sexualité, le tout spécifié de manière masculine ou féminine.

Le corps humain n’est pas seulement pour la procréation, comme s’il s’agissait de répondre a`un impératif biologique qui s’imposerait à nous comme il s’impose aux animaux. La fécondité, dans et par la procréation, est une surabondance de l’amour. Le corps humain avec son sexe et par son sexe est fait pour la communion des personnes. Le fruit de cette communion, comme son rayonnement, est la fécondité en une autre personne. Mais on ne peut pas, sans trahir le sens de la vocation conjugale du corps, réduire la sexualité à la fonction procréative. Ce qui est premier, c’est la communion; la procréation est seconde, car elle le fruit de la communion. En ce sens, elle est le gage de la vérité de la communion…Comme signe visible, le sacrement se constitue avec l’être humain en tant que corps et par le fait de sa visible masculinité et féminité, le corps en effet- et seulement lui-est capable de rendre visible ce qui est invisible : le spirituel et le divin. Il a été créé pour transférer dans la réalité visible du monde le mystère caché de toute éternité en Dieu et en être le signe visible.

Le péché, le désir et la convoitise
Le péché des origines est un événement fondateur d’une importance capitale, qui définit clairement la frontière entre un « avant »-celui des origines, de la « préhistoire théologique de l’homme »- et un « après », celui de l’homme historique, irrémédiablement marqué des conséquences de ce péché des origines.

Le péché des origines
Saint Augustin qui n’a pourtant pas un regard très optimiste sur le corps, reconnaît dans son commentaire littéral de la Genèse, que : « Bien que, d’après les Écritures, nos premiers parents ne se soient unis et n’aient engendré des enfants qu’après leur expulsion du Paradis, je ne vois pas cependant ce qui aurait pu empêcher qu’il y ait eu, pour eux, même dans le Paradis, un mariage honoré et un lit nuptial sans souillure ». Saint Thomas va jusqu’à dire que, dans l’état d’innocence, le plaisir sensuel eût atteint un degré extrême et voit là une bonne chose : « Dans l’état d’innocence, il n’y aurait rien eu dans le domaine de la sexualité qui n’eût été réglé par la raison; non pas que le plaisir sensible eût été moindre. Car le plaisir sensible eût été d’autant plus grand que la nature était plus pure et le corps plus délicat. » Par ailleurs, si on retire la question du péché originel, la Rédemption devient sans objet. Pourquoi l’humanité aurait-elle besoin d’être sauvée si elle n’est pas atteinte par ce péché des origines transmis de génération en génération par « propagation et non par imitation »? Pourquoi un Sauveur si toute l’humanité n’est pas pécheresse en Adam, si elle n’est pas « contaminée » par le péché de nos premiers parents?

Quelle est donc l’essence du péché originel? Formellement, c’est un acte de désobéissance à l’injonction divine de ne pas « manger du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal ». Fondamentalement, il consiste dans un refus de dépendance de la créature à l’égard de son Créateur. En ce sens, le péché originel commis par nos premiers parents est de même nature que le péché des anges au début des temps…Le péché originel consiste à dire au Créateur : « Je ne dépendrai pas de Toi; je serai moi-même la source du discernement du bien et du mal; je ne veux pas recevoir de Toi le principe de la distinction du bien et du mal; je veux en décider par moi-même ». Le péché originel est un acte radical de rupture de la communion divine. Cette rupture, cette chute originelle, est donc une véritable catastrophe, un cataclysme ontologique monumental- les mots ne sont pas trop forts. Entraînant la rupture de la communion de l’homme avec Dieu, ce péché lui a fait perdre le bénéfice de tous les dons que permettait cette communion. L’homme a ainsi perdu son dominium sur la nature, sa capacité de gouverner. C’est ainsi toute la création qui subit les conséquences de ce cataclysme. A ce propos, Jean-Paul II affirme : « Toute la création est soumise indirectement à cet esclavage de la corruption à cause du péché de l’homme que le Créateur avait placé au centre du monde visible pour qu’il le domine (cf. Gn 1,28).

Quelles en sont les conséquences au plan particulier des relations de l’homme et de la femme?
1. La honte du corps : à la transparence du regard porté sur la nudité de l’autre, qui signifiait la conscience intégrale de la signification conjugale du corps, se substitue la honte du corps.

2. La volonté de domination de l’un sur l’autre : à la révélation mutuelle des personnes, d’où surgissait la jubilation de la communion des personnes, se substitue la tentation de domination mutuelle des personnes.

3. La désunité : à la communion des personnes dans la pureté du cœur, se substitue la désunité de la concupiscence.

La honte sexuelle
1. Les effets du péché originel ne sont pas premièrement vis-à-vis de Dieu. L’homme et la femme commencent par cacher les signes sexuels de leur corps par des « pagnes » et c’est seulement après qu’il est dit qu’ils se cachent devant Yahvé Dieu parmi les arbres du jardin. Ainsi, le premier effet du péché originel sur l’homme et la femme porte sur la compréhension de leur corps, avant même d’atteindre leur relation à Dieu. La première chose que corrompt le péché originel, c’est la qualité de l’attitude de l’homme et de la femme relativement à leur corps : ils se le cachent. Dans le fait de « cacher son corps », il y a beaucoup plus que cacher les signes extérieurs du corps. L’action de « cacher » ne concerne pas seulement les signes extérieurs du corps. L’action de « cacher » ne concerne pas seulement les signes extérieurs de la masculinité et de la féminité- les organes sexuels- mais signifie également le fait de cacher tout ce qui a trait à la sensibilité, la psychologie et l’affectivité propres à la masculinité et à la féminité. Le fait de cacher son corps, exprime aussi l’incapacité qui est la leur de se dire, de se communiquer dans la différence de leur masculinité et de leur féminité.

2. Devenus incapables, par l’effet du péché de comprendre leur sexualité dans la lumière de sa finalité de communion des personnes, l’homme et la femme ne la voient plus que dans une similitude avec la sexualité animale et en conçoivent de la honte. Dans l’état d’innocence originelle, les signes concrets de la masculinité et de la féminité étaient vus dans l’éminente dignité de leur signification et de leur vocation : signifier par le don des personnes les relations entre les Personnes divines. Après le péché, ce regard est perdu et la sexualité humaine n’est plus vue que comme une sorte de sublimation culturelle de la sexualité animale dont elle persiste à dépendre. Le regard sur la sexualité s’inverse, opère une sorte de « révolution », de retournement. Dans le regard de l’innocence originelle, la sexualité humaine était vue et comprise en référence avec la communion des Personnes divines qu’elle était appelée à signifier de manière incarnée; dans le regard de l’homme historique, pécheur, la sexualité humaine n’est plus regardée qu’en référence à la sexualité animale. Il s’ensuit une gêne, un malaise, une honte, qui conduit à en camoufler les signes.

3. Jean-Paul II interprète également la honte originelle comme le surgissement immédiat, instantané, dans la conscience de l’homme et de la femme, du fait qu’ils sont susceptibles de devenir pour l’autre un simple objet, de plaisir, de procréation, d’appropriation, de valorisation personnelle.

A cet égard, Jean-Paul II affirme : « A l’union ou communion personnelle à laquelle l’homme et la femme sont appelés, depuis le début, ne correspond pas, et même est en contraste l’éventuelle circonstance que l’une des deux personnes existe seulement comme sujet d’apaisement du besoin sexuel, et que l’autre devienne exclusivement l’objet de cette satisfaction. De même ne correspond pas une telle unité de communion, mais s’y oppose plutôt, le cas où tous les deux, l’homme et la femme, existent l’un pour l’autre seulement comme objet d’apaisement du besoin sexuel et que de son côté chacun d’eux soit seulement sujet de cet appel.

La domination
« Ta convoitise te poussera vers ton mari, et lui dominera sur toi ».
Il est à noter qu’après le péché, l’homme est pour la première fois défini comme « mari », mot dont l’étymologie signifie « mâle » au sens animal, c’est-à-dire dominant, du terme. Le mot mariage est construit sur le mot mari, et dès lors il semble que le mariage lui-même devient le lieu privilégié de la domination de l’homme-mâle sur la femme….

L’homme est conscient du poids et de la virulence de son désir sexuel et de la tyrannie qu’il peut exercer sur lui. Il peut attendre du mariage et de sa femme un apaisement de ses pulsions, de sa soif de l’union physique, sans toujours réaliser que l’exercice habituel de la sexualité provoque davantage une exaspération qu’une rémission du désir sexuel. Dans le mariage, il pourra avoir tendance à revendiquer ses « droits d’époux », en invoquant l’exigence du « devoir conjugal ». Au lieu de sacrifier son propre rythme sexuel pour se mettre au diapason de celui de son épouse, il pourra aller jusqu’’à chercher à modeler la sexualité de sa femme sur le fonctionnement de sa propre sexualité, manœuvre dont la femme pourra parfaitement se rendre complice de manière volontaire. Cette détermination à décalquer le modèle de la sexualité masculine sur la sexualité féminine est une modalité d’expression très concrète de la volonté de domination dont nous parle Gn.3,16. Elle pourra aller jusqu’à exiger de la femme qu’elle transgresse les lois de sa fécondité par des pratiques contraceptives afin d’être plus facilement et plus largement soumise aux exigences sexuelles masculines.
De son côté, la femme est capable de répondre à cette volonté de domination de l’homme par un autre type de domination de l’homme plus subtil : voyant que sa soif de don dans le mariage et la vie conjugale est l’objet de tentatives d’appropriation, et comme elle s’imagine être plus libre que l’homme vis-à-vis de l’exigence du désir sexuel, elle peut chercher à exploiter cette caractéristique de sa physiologie et de sa psychologie pour exercer à sa manière une domination. Elle attend du mariage moins une satisfaction de ses pulsions sexuelles qu’une certaine satisfaction sentimentale, ce qui lui donne l’impression tout à fait illusoire d’une plus grande « pureté ». La relation sexuelle peut n’être pour elle qu’une composante- pas toujours la plus importante- de son épanouissement affectif et sentimental. Sentant la vulnérabilité de son mari à l’égard de ses désirs d’union physique et persuadée de sa plus grande liberté à cet égard, elle peut chercher à en jouer et passer ainsi de la considération de l’union physique comme « prix à payer » pour une satisfaction sentimentale à la gestion de l’union sexuelle comme moyen de manipulation et de domination de son mari.

La désunité
« Il vous a été dit : tu ne commettras pas d’adultère. Eh bien, moi je vous dis : celui qui regarde une femme pour la désirer, celui-là a commis l’adultère avec elle dans son cœur. » L’adultère qu’un homme commet dans son cœur quand il regarde une autre femme pour la désirer, signifie un acte intérieur bien défini, dit Jean-Paul II. C’est cet acte intérieur que Jésus veut mettre en lumière pour éclairer du même coup ce qui est dans le cœur de l’homme, ce qui est la source profonde de son péché et qui, en tant que tel, est plus important que l’acte extérieur, même si c’est ce dernier qui est condamné par la loi.

Cette désunité que produit le péché, en l’homme et entre les personnes, peut se décliner sur trois registres :
1. Désunité dans la personne entre le regard et le cœur. Le pape analyse en profondeur le fait de « regarder pour désirer » qui entraîne une falsification du cœur. Il montre que c’est « le regarder pour désirer » et non « le regarder » en tant que tel qui est en cause, quand bien même le fait de regarder provoquerait une attraction car l’attraction permanente de l’homme pour la femme et de la femme pour l’homme est quelque chose de bon qui fait partie de la splendeur des origines. Cette attraction ontologique fondamentale est inscrite dans la structure même de notre être et il ne s’agit pas de la remettre en cause. En revanche, dans le fait de « regarder pour désirer » il y a la marque de la soumission volontaire à la concupiscence. Jean-Paul II précise cette nature du désir : « Le désir est la duperie du cœur humain à l’égard de l’éternelle vocation de l’homme et de la femme- une vocation qui a été révélée dans le mystère même de la création- à la communion par un don réciproque. Quand je regarde pour désirer, je regarde pour m’approprier l’autre, pour le soumettre à ma propre satisfaction, pour le réduire à l’état de moyen, donc pour le « chosifier ». Par conséquent, je m’établis dans une rupture avec la signification conjugale du corps qui est une signification de don et de communion.

2. Désunité entre le corps et le cœur
En réalité, c’est dans le cœur que la question se pose : c’est le cœur humain qui a été troublé par le péché, pas le corps. Si le corps semble « rebelle », c’est parce que le cœur de l’homme a perdu la « rectitude » des origines.

3. Désunité entre les personnes
La désunité entre les personnes s’établit lorsqu’elles ne sont plus l’une pour l’autre don d’elles-mêmes, mais sont réduites au statut d’objets l’une pour l’autre. Il y a une manière de regarder qui transforme le regard de l’autre. En étant objet du désir, l’autre peut finir par se mettre à désirer. C’est pour cela que Jean-Paul II évoque une autre traduction possible du passage de Mt.5,27-28; non pas « a commis l’adultère avec elle dans son cœur » mais « l’a rendue adultère dans son cœur ». En effet, l’homme qui regarde une femme « pour la désirer », c’est-à-dire dans une intention, non pas de don, mais de captation, met cette femme en situation de porter sur lui-même un regard semblable, la met en état de désirer à son tour, et par conséquent « la rend adultère dans son cœur ».

« L’adultère dans le cœur n’est pas commis seulement parce que l’homme regarde de cette manière la femme qui est son épouse, mais précisément parce qu’il regarde ainsi une femme. Également, s’il regardait de cette manière la femme qui est son épouse, il commettrait le même adultère « dans son cœur »(…) L’homme qui regarde de cette façon se sert de la femme, de sa féminité, pour assouvir ses propres instincts. Bien qu’il ne le fasse pas par un acte extérieur, déjà en son for intérieur il a accepté cette attitude en se décidant ainsi intérieurement à propos d’une femme déterminée. C’est précisément en cela que consiste l’adultère « commis dans le cœur ». Cet adultère dans le cœur, l’homme peut également le commettre à l’égard de sa propre femme, s’il la traite seulement comme objet d’assouvissement de ses instincts. Ce type de regard c’est le regard qui chosifie, instrumentalise, réduit l’autre à l’état d’objet. Ce regard peut exister du mari sur sa femme, comme il peut exister de la femme sur son mari. L’essence de l’adultère n’est pas dans le fait de coucher avec la femme d’un autre, ou avec une femme qui n’est pas la sienne, et Jean-Paul II fait très justement remarquer que le Christ dans l’Évangile n’a pas dit « celui qui regarde pour la désirer la femme d’un autre » ou « une femme qui n’est pas la sienne », mais « celui qui regarde une femme pour la désirer ». C’est donc bien le regard pour désirer qui est en cause. Dans tous les cas, l’essence de l’adultère, c’est le fait de contrevenir à la signification conjugale du corps : le corps n’est plus moyen de communion, mais moyen de jouissance égoïste.


CINQUIÈME CONFÉRENCE


Les subtilités de l’adultère (par Yves Semens)

CINQUIÈME CONFÉRENCE
Les subtilités de l’adultère

L’adultère dans le cœur
« Il vous a été dit « Tu ne commettras pas l’adultère ». Moi je vous dis : « Tout homme qui regarde une femme pour la désirer a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur » (Mt.5,27-28). Jean-Paul II fait remarquer qu’une traduction plus exacte de ce passage serait : « l’a rendue adultère dans son cœur » (audience du 16 avril 1908). Non seulement cette traduction correspond mieux au texte latin de la Vulgate de saint Jérôme mais elle met en évidence que ce péché de l’adultère dans le cœur concerne tout homme, pas seulement celui qui est marié et qui, regardant ainsi une femme qui n’est pas son épouse, se met en situation d’adultère intérieur…Si le fait de regarder une femme « pour la désirer » a pour conséquence de rendre cette femme adultère dans son cœur, c’est que le fait de la regarder ainsi n’est pas neutre pour elle et que, même si cette attitude intérieure de l’homme ne se traduit de manière factuelle par aucun acte extérieur, il produit cependant un effet sur celle qui est regardée de cette manière. Le regard que nous portons sur l’autre n’est jamais neutre et s’il n’est pas ajusté, il est susceptible d’engendrer chez l’autre un état intérieur de même nature.
L’adultère intérieur.

Dans le mariage on ne promet pas seulement à l’autre l’exclusivité du don de son corps, mais également celui de son cœur, quand bien même ce cœur, depuis le péché des origines, est blessé et malade et a sans cesse besoin d’être soigné et guéri par le sacrement de la miséricorde. Les personnes mariées sont ainsi tenues d’exercer une particulière vigilance quant à la qualité du regard qu’ils portent sur les autres hommes et les autres femmes. Cette attitude portait autrefois un nom : la modestie…Peut-être vaudrait-il mieux l’appeler aujourd’hui la réserve, car les époux sont en effet totalement réservés l’un pour l’autre.
Ce qui fait le fond de l’adultère et le constitue comme péché, c’est qu’il est une rupture de l’alliance personnelle qu’un homme et une femme ont conclue par leur mariage, autrement dit une rupture du serment de fidélité juré entre les époux au jour de leur mariage et par lequel ils se sont engagés l’un vis-à-vis de l’autre à se réserver l’exclusivité; de leurs relations conjugales… Relève donc de l’adultère intérieur le fait d’entretenir des relations affectives profondes avec quelqu’un d’autre que son époux ou son épouse. Il doit s’agit bien évidemment de relations affectives profondes et il ne saurait être question de contester ou de suspecter l’affection que l’on peut- et que l’on doit, parfois- consentir à son entourage familial, amical ou social. Mais il y a des questions à se poser lorsque, par exemple, les relations affectives avec les parents prennent le pas sur celles que l’on doit à son conjoint..L’Écriture est claire à ce propos : « C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme » (Gn.2,24). L’attitude des parents ou des beaux-parents qui n’acceptent pas de voir partir leurs enfants, celle des maris ou des femmes qui résistent au fait de quitter réellement (pas seulement géographiquement) leurs parents pour s’attacher à celui ou celle qu’ils ont choisi, relèvent de cette atteinte portée à l’exclusivité du lien conjugal qui définit l’adultère.

Adultère spirituel
Il faut également évoquer les attitudes possibles d’adultère intérieur au plan spirituel. Il peut arriver que les époux entretiennent individuellement avec un père spirituel ou un accompagnement spirituel des relations apparemment chastes, mais qui correspondent à une réelle intrusion indue dans leur intimité d’époux. Sans vouloir aucunement remettre en cause le bien-fondé de l’accompagnement spirituel ni les bénéfices que l’on peut en tirer, il est cependant permis de s’inquiéter d’une intimité spirituelle entretenue avec un accompagnateur qui devrait être exclusivement réservée à l’époux ou à l’épouse.

Adultère avec sa propre épouse
Ce qui constitue l’adultère dans le cœur est la nature même du regard qui est porté sur l’autre, ce regard de désir qui vise à instrumentaliser l’autre au service de sa propre satisfaction, celui qui tente de s’approprier l’autre pour s’en satisfaire, celui qui tente de prendre là où devrait présider le respect absolu de la liberté d’un don, celui qui tente finalement d’extorquer son don à l’autre pour le réduire intentionnellement à être un simple objet pour soi. « L’homme qui regarde de cette façon se sert de la femme, de sa féminité, pour assouvir ses propres instincts (…)’est précisément en cela que consiste l’adultère « commis dans le cœur ». Cet « adultère dans le cœur » l’homme peut également le commettre à l’égard de sa propre femme, s’il la traite seulement comme un objet d’assouvissement de ses instincts », conclut logiquement le pape Jean-Paul II. Il va de soi que cela n’interdit pas, bien au contraire, de considérer les valeurs érotiques du corps de l’autre et de se laisser attirer par elles, mais il doit s’agir d’un érotisme intégral, c’est-à-dire un érotisme qui intègre toutes les valeurs de la personne et pas seulement ses valeurs sexuelles.
On raconte qu’au terme de l’audience au cours de laquelle il avait affirmé la possibilité d’être adultère avec sa propre épouse, certains ont fait remarquer au pape qu’il était très exigeant, et peut-être même trop exigeant. Jean-Paul II aurait simplement répondu : « Ce n’est pas moi qui suis exigeant, c’est le Christ ».
L’amour plus fort que la mort (Tobie et Sarra)

Le mariage de Tobie et de Sarra, nous montre comment la pureté du cœur et l’attitude de chasteté peuvent-par la grâce de Dieu- rendre l’amour des époux « plus fort que la mort ». Rappelons cette histoire. Tobie est conduit par l’ange Raphaël, qui ne s’est pas encore révélé comme tel, chez Raguel, dont la fille unique Sarra a déjà été mariée sept fois. A chaque fois, le mari est mort pendant la nuit de noces, avant même d’avoir consommé le mariage, par l’action d’un mauvais démon, Asmodel. Tobie arrive et l’ange lui conseille de demander Sarra en mariage. En vertu de la loi de Moïse, il est le seul, en raison de liens de parenté, auquel normalement Raguel peut accorder sa fille unique. Par honnêteté, Raguel lui dit ce qui s’est passé lors des précédents mariages…Mais Tobie demande une réponse rapide, avant le soir, Raguel conclut le contrat de mariage et, pendant la fête, fait creuser une tombe par ses serviteurs pour le cas où…Tobie et Sarra sont conduits dans la chambre nuptiale. On les laisse. Sur les conseils de l’ange Raphaël, Tobie invite alors Sarra à se relever et à prier avec lui. Ils se recouchent et, pour le reste de la nuit de noces, tout se passe bien! Raguel fait reboucher la tombe.

Pourquoi Tobie a-t-il échappé à la mort? Jean-Paul II montre que toute l’explication est contenue dans la prière que font Tobie et Sarra. Comme le Cantique des Cantiques, cette prière fait partie des lectures proposées pour la célébration des messes de mariage.
Voici cette prière : « Tu es béni, Dieu de nos père, et ton Nom est béni dans tous les siècles des siècles! Que te bénissent les cieux, et toutes tes créatures dans tous les siècles! C’est toi qui as créé Adam, c’est toi qui as créé Eve sa femme, pour être son secours et son appui, et la race humaine est née de ces deux-là. C’est Toi qui as dit : Il ne faut pas que l’homme reste seul, faisons-lui une aide semblable à lui. Et maintenant, ce n’est pas pour le plaisir et la satisfaction de ma concupiscence que je cherche ma sœur, mais je le fais d’un cœur sincère. Daigne avoir pitié d’elle et de moi et nous mener ensemble à la vieillesse! Et ils dirent ensemble : Amen! Amen!

C’est pour louer Dieu et accomplir leur vocation que Tobie veut s’unir à Sarra et non par concupiscence. Par cette prière, ils s’inscrivent donc dans la filiation des origines et, de ce fait, ils sont épargnés par la mort…C’est en ce sens que le mariage est le sacrement primordial dans la mesure où tout sacrement est un signe de l’Alliance de Dieu avec L’homme, et où le signe le plus grandiose, le plus essentiel, le plus primitif, le plus déterminant de l’Alliance de Dieu avec l’humanité, c’est l’union de l’homme et de la femme dès les origines. Le langage du corps devient la langue de la liturgie. C’est très exactement ce que font les époux dans le sacrement de mariage dont la célébration n’est pas terminée à la sortie de l’église. La célébration du mariage ne s’achève, en effet, que dans le lit conjugal par le langage du corps qui exprime la totalité du sacrement.

Les maturations de l’amour

La nuit des sens
La nuit des sens se révèle bien rarement au début de la vie conjugale. Que les fiancés et les jeunes mariés qui jubilent dans leurs transports amoureux s’en réjouissent et en profitent! Ce n’est souvent qu’au bout de plusieurs années qu’une nuit des sens peut surgir : on ne « sent » plus qu’on aime l’autre car l’intensité du sentiment amoureux s’estompe. Il n’y a rien là que de normal, même au seul plan psychologique. Les plus récentes recherches de sexologie établissent que le sentiment amoureux est un phénomène complexe dû à une multiplicité de facteurs mais qui ne résisterait pas au-delà de trente-six mois en moyenne. On ne peut donc être sa vie durant dans un état de fièvre amoureuse intense et permanent. Faut-il paniquer? Certains époux peuvent tomber dans le piège qui identifie l’amour et le sentiment amoureux : « Je ne sens plus que je l’aime, donc je ne l’aime plus! » Une distinction fondamentale s’impose donc ici. Bien souvent, et même la plupart du temps, cet état d’apathie peut être la conséquence d’une forme d’endormissement dans la routine et à tout prendre une forme de paresse de l’amour. On s’est laissé prendre par ses soucis professionnels, par le soin des enfants, par les engagements de toutes sortes et on a fini par oublier de prendre du temps pour son couple. Faut-il chercher à toute force à faire ressurgir la fièvre amoureuse, le temps béni des premiers émois? Rien ne l’interdit et ce peut même être souhaitable si cet état est le résultat de négligences et d’une tiédeur de l’amour… Mais si pour autant que cet état persiste? C’est peut-être qu’est venu alors le moment d’une purification de l’amour qui est une épreuve de maturité en même temps que de vérité, le moment de découvrir qu’aimer est bien davantage que de sentir qu’on aime..

Quant aime-t-on vraiment?
Quand on cherche avant tout le bien de l’autre, c’est-à-dire quand on se décentre de soi-même dans un mouvement altruiste. L’amour devient alors amour de bienveillance ( bien-veillance). On peut vouloir même vouloir le bien de l’autre au détriment de ses propres satisfactions dans la mesure où le bien de l’autre est voulu en priorité. L’amour de bienveillance dépasse la sphère de la simple émotivité pour s’établir au niveau de la volonté. En ce sens il devient réellement humain en ce qu’il engage cette faculté spécifiquement humaine qu’est la capacité de vouloir le bien en tant que bien. Le sentiment amoureux est seulement ressenti, même s’il peut être entretenu; l’amour de bienveillance est voulu. Voulant d’abord le bien de l’autre, l’amour de bienveillance peut conduire à sacrifier sa propre volonté à celle de l’autre et à y trouver sa joie. D’une certaine manière, l’amour de bienveillance consiste à dire en toutes choses à l’autre : « non pas ma volonté mais la tienne ».
Les époux sont appelés à vivre de cette amitié qui est alors qualifiée de conjugale. L’amour de bienveillance ne contredit pas le sentiment amoureux, l’attrait quasi irrésistible vers l’autre. Au contraire, il l’assume, l’intègre, l’ordonne et, dans cette mesure, le tempère en même temps qu’il lui confère un gage de pérennité. Introduisant dans l’amour une radicale orientation altruiste, il constitue par ce fait même une première étape de la croissance de l’amour vers sa maturité.
« L’amour sponsal diffère de tous les autres aspects et formes de l’amour. Il consiste dans le don de la personne. Son essence est le don de soi-même, de son propre « moi »…Toutes ces façons de sortir de soi-même pour aller vers une autre personne, ayant en vue son bien, ne vont pas aussi loin que l’amour sponsal. « Se donner », c’est plus que « vouloir du bien », même dans le cas où, grâce à cette volonté un autre « moi » devient en quelque sorte le mien propre, comme cela a lieu dans l’amitié ». L’amour sponsal, l’amour des épousailles, est cette forme ultime de l’amour à laquelle les époux sont appelés et c’est à cet amour qu’ils s’engagent- sans toujours en avoir une claire conscience- par la formule sacramentelle du mariage : « Je me donne à toi ».
La nuit des sens peut ainsi s’avérer être une salutaire étape de croissance dans la maturité de l’amour. Elle peut être une invitation à passer d’un amour uniquement ou trop exclusivement ressenti à un amour d’oblation dans lequel ils trouveront l’accomplissement de leur vocation de personne. Les moments amoureux pourront ressurgir. Tant mieux! Mais on aura cessé de croire que l’on aime l’autre simplement parce que l’on « sent » qu’on aime et on aura découvert que l’amour au plus profond consiste dans le don sans retour de soi-même.

La nuit de l’esprit
On peut, on seulement ne plus « sentir » que l’on aime, mais ne plus « savoir » que l’on aime. Ne plus comprendre son mariage ni les raisons que l’on a eues d’épouser celui-ci ou celle-là, penser que l’on s’est trompé de conjoint, voire de vocation, avoir des doutes sur la validité de son mariage…La nuit s’établit alors au plan de l’intelligence et non plus seulement au plan de la sensibilité ou de l’affectivité.
« La vérité de l’amour des époux du livre de Tobie trouve sa confirmation, non pas dans les paroles exprimées par le langage du transport amoureux comme dans le Cantique des Cantiques, mais bien dans les options et dans les actes qui assument tout le poids de l’existence humaine dans leur union à tous les deux. » Et Jean-Paul II de conclure : « Dans cette épreuve de la vie et de la mort, c’est la vie qui triomphe car..l’amour soutenu par la prière se révèle plus fort que la mort. »
Ce moment de l’épreuve de la nuit de l’esprit est celui par lequel les époux doivent prendre conscience du sens et de la portée des autres paroles par lesquelles ils ont consenti au don d’eux-mêmes dans le mariage : « Pour t’aimer fidèlement dans la joie comme dans les épreuves, dans le bonheur comme dans le malheur. » Pour t’aimer fidèlement en dépit de tout, bien que je ne sache plus que je t’aime, bien que je ne sache plus si tu m’aimes, bien que je ne comprenne plus notre mariage, bien que ma sensibilité se révolte, bien que je t’en veuille de ne pas me comprendre, bien que je m’en veuille de ne pas te comprendre…La fidélité absolue, sans conditions, malgré tout ce qui pousserait à rompre le serment juré. Une fidélité maintenue, non pas « à cause des enfants », pas par peur du qu’en dira-t-on, ni par conformisme familial ou social; uniquement à cause du don de soi, total et sans retour, fait un jour entre les jours et pour toujours. C’est là l’ultime purification de l’amour et la suprême épreuve de vérité. C’est le moment où le mariage ne tient plus que par l’œuvre de la volonté qui persiste à dire oui, quand bien même l’intelligence ne perçoit plus les raisons de ce consentement. C’est également le moment où le tentateur a beau jeu d’essayer de décourager les époux et de els détourner de ce don sans conditions d’eux-mêmes auquel ils ont consenti.

PERSISTER À AIMER ALORS MÊME QUE L’ON NE COMPREND PLUS POURQUOI IL FAUT AIMER EST LA PERFECTION MÊME DE L’AMOUR PUISQUE C’EST L’AMOUR MÊME DONT DIEU NOUS AIME : UN AMOUR SANS RAISON.

Jusqu’à ce que la mort nous sépare
Lorsque les époux n’ont pas vécu des vies parallèles mais ont vraiment tenté de vivre une communion non seulement des corps et des cœurs, mais des âmes, il n’est pas aisé de revenir à une spiritualité de célibataire. Il n’est même pas certain qu’on le doive. La question se pose en effet : la spiritualité du veuvage doit-elle être une spiritualité de célibataire ou doit-elle conserver un caractère conjugal, et comment le peut-elle?
Que pourrait être une spiritualité du veuvage? Essentiellement, peut-être, une spiritualité de la communion. Ceux qui ont l’expérience du veuvage témoignent volontiers de ce que la communion avec l’époux ou l’épouse disparu € se fait alors plus intense, plus réelle. C’est le témoignage que donnait le grand écrivain catholique Jean Guitton après la mort de sa femme : l’expérience d’un passage de la communication à la communion. De quelle communion s’agit-il? Tout simplement et réellement de ce que l’Église appelle la communion des saints. Il ne s’agit pas de vivre dans le souvenir perpétuellement et émotionnellement ressassé de l’être cher perdu. Il s’agit d’éprouver la réalité mystérieuse de sa présence et de vivre avec lui une forme de communion spirituelle qui peut s’avérer supérieure à toute l’expérience que l’on a pu faire durant la vie partagée ici-bas.

Cette spiritualité de la communion ne cesse pas d’être conjugale. Elle l’est même à un degré éminent. D’une certaine manière, elle est la suprême maturité de l’amour conjugal. Le mariage, en effet, annonce la résurrection des corps lors du retour en gloire du Christ-époux. Cette résurrection sera le plein accomplissement de notre humanité par la réalisation parfaite que tout e dont nous pouvons avoir l’expérience en cette vie, de la dimension corporelle et de la dimension spirituelle de la personne.
Une question qui préoccupe parfois les époux, particulièrement ceux qui vivent le veuvage, est celle de savoir ce qu’il en sera au Ciel, au moment de la résurrection des morts. Le Christ n’a-t-il pas dit, dans sa réponse aux sadducéens : « A la résurrection, on ne prend ni mari ni femme, mais on est comme des anges dans le ciel ». (Mt.22,30)? Comme le pacte du mariage semble cesser avec la mort puisque l’Église, même si elle ne l’encourage pas, autorise cependant les veufs et les veuves à un nouveau mariage, certains en viennent à penser que l’union des époux cesse définitivement avec la mort. Cela peut être la cause d’une inquiétude spirituelle, et parfois même d’une véritable angoisse. Il convient tout d’abord d’attirer l’attention sur le changement significatif qui est intervenu récemment dans les formules utilisées dans le rituel du mariage. S’agissant de l’engagement à la fidélité, la formule traditionnelle « jusqu’à ce que la mort nous sépare » a été remplacée dans le nouveau rituel par « pour toute notre vie ». Ce changement n’est pas anodin car « pour toute notre vie » peut s’entendre « pour toute notre vie éternelle qui est déjà commencée ici-bas »Par ailleurs, il faut comprendre convenablement les paroles que le Christ adresse aux sadducéens. Le Christ ne dit pas : « A la résurrection on ne prend plus mari ni femme », mais : « A la résurrection on ne prend ni mari ni femme », c’est-à-dire qu’on ne se marie plus. Jean-Paul II dit : « ils ne prendront ni mari ni femme tout en conservant dans leurs corps ressuscités, c’est-à-dire glorieux, la masculinité et la féminité, cela s’explique par la fin de l’histoire mais aussi et surtout par l’authenticité eschatologique de la réponse au se communiquer du sujet divin qui constituera l’expérience béatifique du don de soi de la part de Dieu, absolument supérieure à toute expérience propre à la vie terrestre » (audience du 16 décembre 1981).
Saint Thomas d’Aquin nous dit que l’union totale à Dieu que nous vivrons dans la résurrection n’exclura pas la proximité particulière avec certains, mais que cette proximité sera mesurée par la charité. Cela veut dire que dans la résurrection nous serons les plus proches de ceux que nous aurons le plus aimés et de ceux par qui nous aurons été le plus aimés. Il est permis de penser que ce sera bien évidemment le cas de celui ou de celle à qui et de qui, dans le mariage, nous aurons donné et reçu le plus grand amour.


SIXIÈME CONFÉRENCE


Les croix et les peines (par Yves Semens)

SIXIÈME CONFÉRENCE

Les croix et les peines
L’inévitable inachèvement du don

On peut souffrir devant son incapacité à se donner soi-même totalement. Des blessures peuvent en être parfois la cause, qui peuvent être de toutes sortes : blessures de l’éducation, blessures dues à des violences affectives ou sexuelles qui rendent le don de soi-même difficile…On peut souffrir de ces limitations au don en soi-même comme on peut souffrir de ces mêmes limitations en l’autre. La pénibilité des circonstances de la vie peut aussi freiner en nous le don : fatigue de la vie professionnelle, épuisement dû aux maternités trop rapprochées, soucis dans l’éducation des enfants, maladie, dépression…Mais c’est surtout notre péché qui en est le plus souvent la cause : paresse, égoïsme, repliement sur soi, colère…Et nous pouvons nous en vouloir de ne pas nous donner assez ou pas assez bien, comme nous pouvons en vouloir à l’autre de ne pas être assez donné et en concevoir du ressentiment à son égard. L’appel au don de nous-mêmes qui nous conduit à désirer le mariage est le plus souvent déçu par l’expérience concrète de notre vécu conjugal.

Nous pouvons aussi avoir le sentiment que notre don a été trahi : nous nous sommes donnés sans calcul ni réserve, sans espoir de contrepartie et nous avons l’impression que ce don a été utilisé par l’autre, qu’il en a profité de manière égoïste, à son propre avantage ou du moins sans se donner lui-même de la même manière. Don du corps détourné de sa finalité, trahison dans l’engagement à la fidélité, déception due à la médiocrité d’une vie conjugale que nous avions rêvée plus belle, sentiment finalement d’avoir été abusés, floués, exploités. Ces souffrances sont pratiquement inévitables et elles ne peuvent être assumées qu’en étant associées à celles de Jésus sur la croix. Car la croix n’est rien d’autre que l’amour qui n’est pas aimée, que l’amour sans limite auquel il n’est pas donné de réponse, qu’un don qui n’est pas reçu. Les époux ne peuvent éviter d’être l’occasion d’une souffrance pour l’autre et cette souffrance demande à être offerte. Le don de soi dans le mariage est sans condition. On ne se donne pas à condition que l’autre se donne aussi, même si on l’espère. On se donne dans la confiance, totalement : on se livre.

L’échec
La croix dans la vie des époux peut tout simplement et radicalement être l’échec de leur mariage, que celui-ci se solde ou non par une séparation. De cet échec on peut être responsable, mais les causes en sont rarement uniques ni unilatérales : péchés d’égoïsme, trahison de la fidélité jurée par l’adultère, le plus souvent des négligences accumulées, une paresse de l’amour, une tiédeur dans le don de soi qui font qu’on découvre un jour qu’à force d’avoir puisé dans le capital de l’amour sans le renouveler, ou sans le renouveler suffisamment, celui-ci se révèle dramatiquement épuisé.
Mais il peut arriver parfois que des sortes de tsunamis ravagent des vies –traumatisme psychologique, accident grave, dépression profonde, échec professionnel, difficultés psychiques irrémissibles, suicide d’un enfant….- et fassent littéralement voler en éclats un mariage sans que les époux y puissent grand-chose. On pourra dire qu’ils avaient négligé tel ou tel moyen, pas été assez prévoyants, ne s’étaient pas assez armés pour faire face. Peut-être…Le jugement est facile : les réalités de la vie sont souvent plus complexes. Il peut arriver aussi qu’un des époux soit trahi par l’autre, abandonné, et se retrouve seul à devoir assumer la charge des enfants. Là encore on pourra dire que s’il avait été assez vigilant, lucide, prévenant, cela ne serait pas arrivé. Voire… On ne peut exclure l’hypothèse que l’un des époux soit tout simplement la victime innocente du péché de l’autre. Il reste donc qu’il faut admettre, même si c’est une réalité douloureuse, qu’un mariage réellement valide peut être un échec et que cet échec est une irruption de la croix dans la vie des époux qui s’y affrontent. Assurément, c’est là une croix terrible.

La joie du don / La joie des origines
Le second récit de la création rapporte que Yahvé Dieu dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul » (Gn.2,18), mais avant d’achever définitivement la création de l’homme en le faisant homme et femme, Yahvé fait en quelque sorte découvrir à l’humain des origines sa solitude dans le monde des êtres vivants au moyen d’une expérience particulière, celle de sa capacité de nommer tous les animaux de la terre : « Yahvé Dieu forma du sol tout animal des champs et tout oiseau des cieux et les conduisit à l’homme pour voir comment celui-ci les appellerait » (Gn.2,19). C’est une sorte d’examen ou de test, dit Jean-Paul II, que passe l’homme à la fois devant Dieu et devant lui-même, par lequel il prend d’abord conscience de ce qu’il est radicalement différent de tous les animaux qui peuplent la terre et le ciel : « Grâce à un tel test, l’homme prend conscience de sa propre supériorité, c’est-à-dire qu’il n’est sur la terre aucune espèce d’être vivant qui puisse être considérée comme son égal » (10 octobre 1979)… »Pour un homme, il ne trouva pas d’aide qui lui fût assortie » (Gn.2,20).

Ce qu’il importe de remarquer c’est que, dans le même temps, l’humain des origines (le terme hébreu adam désigne l’homme sans considération du sexe, ce qui s’explique par le fait que la femme n’est pas encore créée) découvre que ce qui le fait humain est le fait d’aspirer à se donner à un être qui soit son homologue en humanité, à un être capable de recevoir le don de lui-même. Dans le fait de ne pas découvrir parmi tous les animaux qu’il connaît parfaitement cet allié en humanité – ce qui est une meilleure traduction-, il fait l’expérience douloureuse et même effrayant de sa solitude dans le monde, car dans le même temps où il se découvre comme une personne, c’est-à-dire comme un être radicalement différent de tous les autres êtres vivants, il découvre qu’il ne peut réaliser pleinement ce qu’il est sans se donner lui-même. Or il n’y a personne pour recevoir ce don de lui-même auquel il aspire, qui est ce qui le distingue des animaux et le caractérise comme personne : « En effet, dit Jean-Paul II, aucun de ces êtres (animalia) n’offre à l’homme les conditions de base permettant d’exister avec lui dans un rapport de don réciproque » (audience du 9 janvier 1980). Il découvre ainsi qu’être une personne, c’est être fait pour le don de soi-même à un autre soi-même et que, tant que ce don ne peut avoir lieu faute d’un être capable de le recevoir, il ne peut être vraiment lui-même, il ne peut s’accomplir comme personne : « Le don révèle pour ainsi dire une caractéristique particulière de l’existence personnelle ou, mieux, de l’essence même de la personne. Quand Yahvé dieu dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul » (Gn.2,18), il affirme que « seul », l’homme ne réalise pas entièrement cette essence. Il n’existe qu’en existant « avec quelqu’un »- et encore plus profondément, en existant « pour quelqu’un ».
On comprend alors la joie, la jubilation qui s’empare de l’homme devant celle qui fut tiré par Yahvé de son côté : « a ce coup, celui-ci est l’os de mes os et la chair de ma chair » (Gn.2,23). Ce n’est pas seulement ni d’abord une exclamation d’admiration devant la splendeur du corps de la première femme, c’est avant tout la joie qui éclate d’une personne qui va enfin pouvoir se réaliser comme personne en se donnant à une autre personne.. » (audience du 14 novembre 1979).

La joie de la communion
Cet état des origines est irrémédiablement perdu depuis que s’est élevé ce que Jean-Paul II appelle la « barrière infranchissable » du péché des origines (13 février 1980) , mais la pureté du cœur, qui peut être reconquise par l’accueil de la grâce de la Rédemption du Christ, permet de retrouver quelque chose de la joie originelle de la communion. Il nous faut tenter comme le Christ y invite ses interlocuteurs dans la question de la répudiation (Mt.19,3-8), de rétrograder du seuil de l’historique « état de péché de l’homme à celui de son innocence originelle » (12 décembre 1979). Ce n’est possible qu’en retrouvant une certaine pureté du cœur.

La joie qui demeure
Qu’est-ce qui demeure envers et contre tout et malgré les atteintes du péché de la joie des origines? Ce dont témoigne le cri d’Eve, immédiatement après toutes les malédictions énoncées dans le livre de la Genèse comme conséquences du péché et qui se concluent par le bannissement du jardin d’Eden : « L’homme connut Eve, sa femme; elle conçut et enfanta Caïn et elle dit : « J’ai acquis un homme de par Yahvé » (Gn.4,1). Jean-Paul II dit que cette exclamation est « le cri de joie de la première femme, la mère de tous les vivants, (encyclique Evangélium Vitae, no.43), la joie devant la grandeur de la fécondité.
Cette joie est d’abord celle de toute femme devant le miracle de la vie qui surgit d’elle, mais tout homme qui devient père y participe, et cette joie témoigne envers et contre tout de la source ultime de la vie qui est en Dieu. Dieu est vie…
« Quand de l’union conjugale des deux naît un nouvel homme, dit Jean-Paul II dans sa splendide « lettre aux familles de 1994), il apporte avec lui au monde une image et une ressemblance particulière avec Dieu Lui-même. L’enfant, en même temps qu’un fruit, est toujours le témoin d’une communion, même si celle-ci est blessée, même si elle est défigurée ou éteinte. Il est signe intangible de la communion des origines…
C’est pourquoi Jean-Paul II s’est battu avec la dernière énergie contre la « culture de mort » qui sévit particulièrement dans nos sociétés dites développées, allant jusqu’à parler d’une « conjuration contre la vie » (Evangelium Vitae, no.17). Derrière le rejet de l’enfant se profile le rejet de Dieu comme auteur de toute vie. Quand l’enfant devient une gêne, un poids, est réduit à n’être plus qu’un coût qu’il convient d’éviter, c’est que l’on a perdu le sens de la communion et du même coup la cause de la joie. Car la joie d’aimer est la joie du don et il n’y a pas de plus grand don que celui de la vie.
La résurrection et la vocation de la personne

La résurrection et la fin du mariage
Une première vision inadéquate de la résurrection consiste à la confondre avec une « réanimation », c’est-à-dire à une réunification du corps et de l’âme immortelle que la mort avait séparée. Hormis la résurrection de Jésus, les cas de « résurrections » que nous rapportent les évangiles (Lazare, la fille de Jaïre, le fils de la veuve de Naïm) ne sont en réalité que des « réanimations ». La résurrection correspondra à un autre état de spiritualisation du corps, à une autre manière pour l’esprit d’exercer son dominium sur le corps et c’est en ce sens que nous serons « comme des anges » : « Il faut supposer que, dans la résurrection, cette ressemblance (avec les anges) se fera plus grande : non pas par une désincarnation de l’homme, mais par un autre genre (on pourra dire : un autre degré) de spiritualisation de sa nature somatique- c’est-à-dire par un système de forces à l’intérieur de l’homme. La résurrection signifie une nouvelle soumission du corps à l’esprit. » Ce sera, ajoute Jean-Paul II, « un état de l’homme définitivement et parfaitement une parfaite intégrité ». Et le pape continue : « Le degré de spiritualisation propre à l’homme eschatologique aura sa source dans le degré de sa divinisation, infiniment supérieur à celui qu’il est possible d’atteindre dans la vie terrestre. Il faut ajouter qu’il s’agit ici non seulement d’un degré différent mais en un certain sens d’un autre genre de divinisation. La participation à la vie intérieure de Dieu même, pénétration et imprégnation de ce qui est essentiellement humain par ce qui est essentiellement divin, atteindra alors son sommet; aussi la vie de l’esprit humain parviendra-t-elle à une altitude qui aurait été absolument inaccessible auparavant (…) La divinisation dans l’autre monde qu’indiquent les paroles de Jésus apportera à l’expérience humaine une gamme d’expériences de la vérité et de l’amour dépassant tout ce que l’homme aurait pu atteindre durant sa vie terrestre. » Cependant, après la résurrection, nous demeurerons homme et femme. Nos corps porteront les signes de notre masculinité ou de notre féminité, sans quoi ils ne seraient pas véritablement des corps. Autrement dit, parfaitement reconquis dans la plénitude de sa perfection propre d’image et ressemblance de Dieu, le corps ressuscité sera un corps sexué.

1. La résurrection des morts, c’est la fin de l’histoire, « l’accomplissement définitif du genre humain, la clôture quantitative du cercle des êtres qui furent créés à l’image et à la ressemblance de Dieu pour se multiplier dans l’unité conjugale des corps d’hommes et femmes, et pour dominer la terre. » Avec la fin de l’histoire cesse l’accroissement de l’humanité qui est parvenue à son achèvement et, du coup, le mariage, en tant qu’œuvre par laquelle de nouveaux êtres humains viennent à la vie, n’a plus lieu d’être.

2. Dans ce nouvel état de l’humanité qu’est la résurrection, la communication de Dieu à l’homme sera tellement parfaite qu’elle assouvira complètement et de manière surabondante notre soif de communion. Ce pour quoi nous sommes faits, à savoir être des êtres de communion, vocation que le mariage nous permet de réaliser ici-bas, sera vécu à un degré de totale perfection dans le « se donner » de Dieu à chaque personne. Il ne pourra donc plus y avoir mari et femme parce que le don de nous-mêmes à une personne sera infiniment au-dessous de ce par quoi nous serons comblés par Dieu Lui-même dans ce que l’on appelle la « vision béatifique »…La communion des saints ne sera parfaite et ne sera possible que dans l’état de résurrection où nous communierons tous de manière parfaite au « se communiquer » total de Dieu… La résurrection est donc la fin du mariage dans les deux sens du mot fin : la résurrection est le terme du mariage car elle s’achève avec le temps et l’histoire et donc la génération; la résurrection est la finalité du mariage dans la mesure où le mariage a pour but de nous préparer à cet accomplissement de la communion que nous connaîtrons en Dieu dans l’état de résurrection.

Le mariage et la rédemption du corps
Aux origines, le corps avait pour vocation d’exprimer la communion des Personnes divines à travers la communion des personnes humaines, ce qui était déjà immense; la Rédemption du corps, accomplie par le sacrement de mariage institué dans la Nouvelle Alliance, nous amène bien au-delà…Se marier sacramentellement, ce n’est pas « se mettre en règle », c’est se reconnaître appeler à la sainteté par le don de soi dans l’exercice de la communion des personnes.


SEPTIÈME CONFÉRENCE


Le mariage, sacrement primordial (par Yves Semens)

SEPTIÈME CONFÉRENCE
Le mariage, sacrement primordial

Déjà, au plan de la nature, le mariage est un sacrement, et Jean-Paul II ne craint pas d’affirmer qu’il est même « le sacrement primordial » car il est « signe qui transmet efficacement dans le monde visible le mystère invisible caché en Dieu de toute éternité. » Le 20 février 1980, le pape Jean-Paul II disait : « Comme signe visible, le sacrement (en tant que plan de Dieu de toute éternité) se constitue avec l’être humain en tant que corps et par le fait de sa visible masculinité et féminité. Le corps, en effet- et seulement lui- est capable de rendre visible ce qui est invisible : le spirituel et le divin. Il a été créé pour transférer dans la réalité visible du monde le mystère caché de toute éternité en Dieu et en être le signe visible. »

La grâce sacramentelle du mariage
Le mariage civil, c’est la nature; le mariage sacramentel, c’est le luxe, le « bonus » du chrétien.

Le mariage, prototype des sacrements.
Il n’y a de mariage chrétien que dans la volonté des époux de réaliser dans toute leur vie conjugale l’attitude du Christ-Époux à l’égard de l’Église-Épouse. Ce n’est donc pas par hasard qu’on retrouve dans Eph 5 cette affirmation : « aimer sa femme, c’est aimer son propre corps » qui fait écho aux mots de la Genèse : « celle-ci est vraiment la chair de ma chair ». Sur la croix et pour l’éternité, le Christ a aimé l’Église comme son propre corps, lui donnant de devenir son corps mystique…C’est le rôle de la grâce sacramentelle que de brûler peu à peu en nous les racines de la concupiscence, de sorte que nous soyons aptes à signifier dans toutes les dimensions de notre vie conjugale les épousailles d’immolation du Christ et de l’Église.

Le signe des noces de l’Agneau.
Le premier signe que donne Jésus- et que seul rapporte saint Jean- c’est le miracle de Cana. Ce miracle par lequel Jésus inaugure sa vie publique a lieu au cours d’un repas de noces et Jésus y prononce cette phrase apparemment mystérieuse, en réponse à l’invitation de la Vierge Marie : « Que me veux-tu, Femme, mon heure n’est pas encore venue. Il faut comprendre qu’il s’agit ici de l’heure de ses épousailles avec son Église. Le dernier signe que donne Jésus prend place également lors d’un repas, celui de la dernière Cène, et ce repas est aussi un repas de noces. C’est le repas eucharistique au cours duquel le Christ se donne totalement à l’Église dans sa chair et son sang : Il se livre définitivement et totalement en nourriture pour l’Église-Épouse jusqu’à la fin des temps. Ce don de lui-même est l’anticipation des mérites de la Rédemption qui s’accomplira quelques heures plus tard de Gethsémani au Golgotha et qui s’achèvera par cette dernière parole de Jésus sur la croix : « Tout est consommé. »

Le sens de notre mariage chrétien est d’être identifié- le plus possible et chaque jour davantage dans la fidélité à la grâce du sacrement- aux épousailles du Christ et de l’Église, dans l’attente de la résurrection qui signifiera complètement ce pour quoi est fait notre corps. « Heureux les invités au festin des noces de l’Agneau » s’exclame le célébrant dans le rite invitatoire de la communion. Ces épousailles de l’Agneau, nous en faisons mémoire chaque Vendredi Saint, et c’est en chaque Eucharistie que, réellement et jusqu’à la fin des temps, cette parole s’accomplit.

L’eucharistie, mystère nuptial
« L’eucharistie est la source même du mariage chrétien. C’est dans ce sacrifice de la nouvelle et éternelle alliance que les époux chrétiens trouvent la source jaillissante qui modèle intérieurement et vivifie constamment leur alliance conjugale. » (Jean-Paul II, familiaris consortio, no.57).
L’Eucharistie est un repas de noces, celles du Christ-époux et de l’Église-épouse. L’heure de Jésus qui n’était pas encore venue lors des noces de Cana mais qu’il annonce, c’est l’heure de ses épousailles d’époux avec l’Église son épouse, et l’eucharistie est une œuvre de don nuptial. Dans l’eucharistie, Jésus se fait offrande de lui-même, don de lui-même jusqu’à l’extrême. Il ne pouvait se donner davantage qu’en se faisant nourriture pour son Église. Il est alors totalement donné, livré, immolé pour son épouse.
C’est ainsi que les époux sont appelés à se donner l’un à l’autre, jusqu’à l’ultime de l’offrande d’eux-mêmes. C’est pourquoi la célébration du sacrement de mariage prend place au sein même de la célébration du sacrement de l’eucharistie et plus précisément au moment de l’offertoire…Ce qui justifie cette place de la célébration du mariage est le fait que dans le mariage les époux s’offrent l’un à l’autre, se consacrent l’un à l’autre. Une fois ainsi donnés l’un à l’autre, ils sont à même de s’unir l’un et l’autre dans l’offrande eucharistique du Christ : ils unissent leur offrande nuptiale à l’offrande nuptiale du Christ pour l’Église.
Pour être totale, leur offrande nuptiale exigera que leur consentement en paroles soit confirmé par le don de leurs corps et c’est pourquoi la célébration du sacrement de mariage ne s’achève pas dans sa célébration sacramentelle publique; elle ne s’achève que sur la couche nuptiale, dans l’acte du don des corps qui fait partie intégrante de la célébration liturgique du mariage.

La constatation qu’un mariage a été juridiquement contracté mais non consommé équivaut à la constatation qu’il n’a pas été constitué pleinement comme mariage. En effet, les paroles : « Je te prends pour mon épouse- mon époux…ne peuvent s’accomplir que dans l’acte conjugal » (5 janvier 1983). De même, le consentement du Christ à l’Église dans l’offrande de lui-même à travers le don eucharistique exigeait d’être confirmé par l’offrande rédemptrice de son corps sur la Croix. La croix se révèle ainsi comme la couche nuptiale du Christ-époux et de l’Église-épouse… Lorsqu’il est parvenu au sommet de son offrande rédemptrice sur le bois nuptial de la croix, Jésus peut alors dire : « C’est consommé ». C’est la raison pour laquelle Jean-Paul II, posant ainsi les bases d’un renouvellement complet de la théologie sacramentaire, n’hésite pas à dire que « tous les sacrements de la Nouvelle Alliance trouvent en un certain sens leur prototype dans le sacrement de mariage comme sacrement primordial » (audience du 20 octobre 1982). En se donnant l’un à l’autre dans le mariage, en inscrivant leur union dans le signe rédempteur des noces du Christ et de l’Église, les époux posent un acte prophétique : « Sur la base du prophétisme du corps, dit Jean-Paul II, les ministres du sacrement de mariage accomplissent un acte de caractère prophétique. Ils confirment de cette manière leur participation à la mission prophétique que le Christ a confiée à l’Église » (audience du 19 janvier 1983)
Intimité conjugale et intimité eucharistique.

Recevoir le corps eucharistique du Christ n’est donc pas seulement l’occasion d’un « cœur à cœur » avec Jésus; c’est aussi- et au sens propre- un corps à corps de chacun et chacune de nous comme membre de l’Église-épouse avec le Christ-époux…C’est pourquoi l’eucharistie doit être pour eux une occasion de perpétuelle régénérescence de leur union nuptiale. L’eucharistie n’est pas seulement le sacrement dans lequel les époux puisent la force de vivre les exigences de leur vie conjugale. Elle est l’accomplissement plénier de ce qu’ils ont vocation à vivre dans le don sponsal qu’ils se font l’un à l’autre. Également pourront-ils, avant de s’unir et dans une totale vérité du sens de leur union, tracer sur le corps nu et offert de l’autre le signe de la croix, signe de l’offrande nuptiale et rédemptrice de leur Seigneur qui est pour chacun d’eux l’unique Époux. De cette manière, l’union des corps est transfigurée, ou plutôt elle est rétablie dans la vérité de sa signification. Elle devient véritablement une célébration du grand mystère évoqué par l’épître aux Éphésiens. Et c’est pourquoi, Jean-Paul II peut dire : « Sur cette voie, la vie conjugale devient en un certain sens liturgie » (audience du 4 juillet 1984).

Les noces de l’Agneau
Du côté du Christ, le don sponsal à l’Église est parfait et total. L’offrande sur la Croix est une offrande de Lui-même pleinement accomplie. Mais du côté de l’Église, le don sponsal, la réponse d’amour à l’amour nuptial du Christ est à parfaire pour que cette union nuptiale du Christ et de l’Église, c’est-à-dire chacun et chacune d’entre nous, doit accepter de se laisser constituer comme épouse par l’Époux afin qu’elle parvienne à la plénitude du don d’elle-même. Elle ne le pourra qu’en se laissant purifier des traces du péché qui sont autant d’obstacles à l’offrande totale de soi. La gloire du Christ lorsqu’Il reviendra au dernier jour sera la gloire de l’Époux enfin accueilli par son épouse. Et alors, alors seulement, l’Église-épouse pourra enfin dire à l’Époux cette parole que toute épouse murmure à son époux lorsqu’elle se sent prête à accueillir le don de son corps : « Viens!-Marana-tha, viens Seigneur Jésus! » Au don total de l’Époux à l’Épouse répondra enfin celui, total, de l’Épouse à l’Époux. Leur union nuptiale sera totalement accomplie, consommée dans une célébration éternelle, dans une communion et une eucharistie éternelles, et la soif de communion inscrite depuis les origines dans notre cœur d’homme et de femme par le Créateur sera pleinement étanchée. De ces noces éternelles dans lesquelles notre humanité seras enfin accomplie, les époux chrétiens par la grâce de leur sacrement de mariage sont appelés à être les prophètes, dès aujourd’hui et jusqu’au dernier jour.

Les époux et le prêtre
L’Église devient ainsi également en quelque sorte l’épouse du prêtre, et c’est cette épouse qu’il régénère et purifie par le ministère de la miséricorde, de cette épouse qu’il prend soin en l’enseignant et l’exhortant, cette épouse qu’il nourrit chaque jour de l’eucharistie par la célébration de sa messe. Lorsqu’il célèbre sa messe, le prêtre s’offre lui-même avec le Christ pour l’Église dans une offrande nuptiale de lui-même. Lorsqu’il prononce sur le pain et le vin les paroles de Jésus pour en faire son corps et son sang, c’est aussi son corps de prêtre, son sang de prêtre, sa vie de prêtre qu’il offre avec Jésus-époux pour l’Église-épouse. Et c’est alors un don nuptial de lui-même du Christ-époux à l’Église-épouse et ce don prend une dimension quasi charnelle. Le célibat sacerdotal se révèle ainsi, non pas une négation de la valeur du mariage, mais le plein accomplissement de sa signification.

C’est dire que la rupture du célibat sacerdotal équivaut à une forme d’adultère…Même si les traditions diffèrent au sein même de l’Église catholique à propos du célibat sacerdotal, il faut bien reconnaître que le cœur du prêtre ne peut que difficilement être partagé entre le don de lui-même à l’Église et le don de lui-même à une épouse et que l’ordination d’hommes mariés (chez les catholiques melkites ou maronites par exemple) n’est pas sans poser des difficultés qui ne sont pas d’abord des difficultés pratiques. Le simple fait que, selon une tradition constante dès les premiers siècles de l’Église, la plénitude du sacrement de l’ordre-l’épiscopat- ne soit pas conférée à un homme marié est le signe que lorsque la conformation au Christ est totale, la consécration à l’Église-épouse doit l’être également. C’est d’ailleurs une vérité que les catholiques partagent avec leurs frères orthodoxes.

Le prêtre et les époux
Dans l’Église catholique, ce sont les époux qui sont considérés comme les ministres du sacrement de mariage qu’ils se confèrent mutuellement en présence du prêtre, témoin officiel de l’Église. Mais si le prêtre est témoin, ce n’est pas à comprendre d’abord ni seulement dans un sens juridique : si le prêtre est témoin privilégié du mariage, c’est parce qu’il représente devant les époux le Christ-époux. Ce n’est pas pour régler les questions pratiques de cérémonie que les futurs époux doivent rencontrer le prêtre qui célébrera leur messe de mariage, mais bien parce que le prêtre, conformé au Christ-époux de l’Église, doit les former et les préparer au don nuptial d’eux-mêmes que son sacerdoce incarne et révèle. C’est la figure principielle du mariage- celle du Christ et de l’Église- qu’incarne le prêtre dans le don nuptial de lui-même à l’Église. C’est cette figure que les époux doivent pouvoir reconnaître dans le prêtre.

Mariage, ordre et eucharistie
Lorsque des époux offrent l’un de leurs fils comme prêtre de l’Église, leur mariage atteint la plénitude de sa signification. De signe de l’union du Christ et de l’Église, leur mariage devient réalité de cette union par son fruit offert. L’offrande d’eux-mêmes parvient alors à son sommet, son plein accomplissement, son ultime finalité. S’étant offerts l’un à l’autre au moment de l’offertoire de leur messe de mariage, ils offrent le fruit de leur donation mutuelle tout spécialement au cours de l’offertoire de la première messe de leur fils qui devient alors réellement, par la grâce de son sacerdoce, identifié à l’unique époux de l’Église. Mystère sublime de deux offrandes de soi qui se répondent et dans lequel s’exprime la splendide vocation de la personne au don d’elle-même qui l’accomplit en plénitude (cf.Gaudium et Spes, no.24).

La sexualité et la sainteté
« Tous deux, l’homme et la femme, s’éloignant de la concupiscence, trouvent la dimension de la liberté du don unie à la féminité et à la masculinité, dans la vraie signification nuptiale et sponsale du corps. Sur cette voie, dit Jean-Paul II, la vie conjugale devient en un certains sens liturgique. » (Jean-Paul II)

La norme de l’acte conjugal
L’amour conjugal révèle sa vraie nature et sa vraie noblesse quand on le considère dans sa source suprême, Dieu qui est Amour, « le Père de qui toute paternité tire son nom au ciel et sur la terre ». (Eph.3,15). Le mariage n’est pas l’effet du hasard, c’est une sage institution du Créateur pour réaliser dans l’humanité son dessein d’amour. Par le moyen de la donation personnelle réciproque, qui leur est propre et exclusive, les époux tendent à la communion de leurs êtres en vue d’un mutuel perfectionnement personnel pour collaborer avec Dieu à la génération et à l’éducation de nouvelles vies. Même si l’expérience montre que tout acte conjugal n’engendre pas une nouvelle vie, « l’Église, rappelant les hommes à l’observation de la loi naturelle, interprétée par sa constante doctrine, enseigne que tout acte matrimonial doit rester ouvert à la transmission de la vie.

Prophètes du corps
Dans l’audience du 14 novembre 1984, Jean-Paul II dit que la pleine réalisation de la communion des personnes n’est pas possible sans les dons de l’Esprit Saint et tout particulièrement du don de piété. Le don de piété nous fait reconnaître notre dépendance à l’égard de Dieu, nous fait admettre que nous ne sommes pas maîtres de la vie, mais que la vie est œuvre de Dieu. Notre culture contemporaine est une culture d’impiété car l’homme veut aujourd’hui se rendre maître de la vie, de son origine comme de son terme : c’est là ce qui anime toutes les revendications à propos de la contraception et de l’avortement comme de l’euthanasie. Jean-Paul II nous invite à nous mettre dans la mouvance de ce don de l’Esprit saint, car spécialement dans le cadre de la vie conjugale, c’est le don qui nous permet de reconnaître que nous ne sommes pas maîtres de tout, mais que nous dépendons filialement de Lui comme Père et comme source de la vie. Dès lors, dans cette lumière du don de piété, tout acte conjugal fait des époux des ministres, des serviteurs du don de la vie. Cela rehausse encore la dignité et la grandeur de l’acte conjugal.

C’est aussi dans la lumière du don de piété que nous pouvons réaliser ce que signifie la responsabilité de la maternité et de la paternité : nous décider sous la motion de l’Esprit saint pour le don de la vie, choisir de donner la vie de manière pleinement lucide et responsable….C’est ainsi que les époux chrétiens sont appelés à un prophétisme, à être les « prophètes du langage du corps », mus intérieurement par le don de piété du Saint-Esprit lorsqu’ils participent au plan d’amour éternel. « Ce langage du corps, dit Jean-Paul II, devient pour ainsi dire un prophétisme du corps ». C’est là l’éminente mission apostolique du témoignage des époux chrétiens que d’être des prophètes de la signification nuptiale, conjugale de leurs corps offerts, donnés tous les jours et promis avec certitude à la Résurrection.



HUITIÈME CONFÉRENCE


Les secrets de la perfection (par Yves Semens)

HUITIÈME CONFÉRENCE
Les secrets de la perfection
L’état du mariage, même s’il ne l’interdisait pas absolument, a rarement été regardé comme une voie qui facilitait l’accès à la sainteté au motif que cet état rendait difficile la pratique de ces conseils évangéliques. Est-ce si sûr? Les époux, dans la mesure où ils s’engagent dans le mariage comme dans une réponse à une authentique vocation chrétienne, ne sont-ils pas appelés à pratiquer ces conseils évangéliques d’une manière qui leur est propre, mais qui n’est peut-être pas moins exigeante que celle des religieux? S’agissant tout d’abord de la pauvreté..ils ont même le devoir de se constituer un patrimoine, résultat de leur activité laborieuse et de conserver et valoriser dans toute la mesure du possible le patrimoine qu’ils ont eux-mêmes reçu de leurs parents afin de le léguer à leur tour à leurs enfants. La possession de ce patrimoine est justifiée pour eux par le devoir qu’ils ont d’assurer à leur famille une relative et raisonnable sécurité, de même que les communautés religieuses ont le droit et le devoir de posséder collectivement les biens et le patrimoine destiné à assurer un minimum de sécurité matérielle à leurs membres. Mais les époux peuvent vivre comme s’ils ne possédaient rien et se considérer comme de simples gérants temporaires de leur patrimoine. Ainsi, pour les époux, le vécu du conseil évangélique de pauvreté est mesuré par les devoirs qu’ils ont à l’égard des enfants auxquels ils ont donné la vie : celui de leur assurer de quoi vivre décemment, de leur dispenser une éducation convenable, y compris pour ce qui concerne le financement de leurs études, de les aider à s’établir, spécialement lorsque à leur tout ils fondent une famille. Naturellement, une fois que tous leurs enfants sont établis, ils retrouvent alors la liberté du choix d’une radicalité accrue dans le vécu de l’esprit de pauvreté. On songe ici à l’exemple donné par ces parents qui font de leur vivant donation de tous leurs biens à leurs enfants et ne conservent pour vivre que ce qui leur est strictement nécessaire pour ne pas être à leur charge.
La spécificité du vécu de la pauvreté évangélique pour les époux se situe-t-elle également sur un autre registre qui leur est davantage propre : celui de l’ouverture à la vie. Il est clair, en effet, que si les enfants sont une richesse, ils constituent une indéniable pénalisation financière et ceci d’autant plus que les politiques familiales deviennent plus timides et se transforment progressivement en une simple politique sociale à l’égard des plus démunis.

Pour les époux, s’appliquer au conseil évangélique de pauvreté peut les conduire à accueillir généreusement des enfants, ce qui ne veut pas dire de manière déraisonnable, mais ce qui implique pour eux de ne pas considérer de manière excessive la pénalisation financière que ce choix peut comporter. Dans le climat de surconsommation de nos sociétés, cela peut être un choix particulièrement exigeant qui conduit à de réels renoncements et à introduire dans sa manière de consommer des priorités et des exclusions : la taille du logement plutôt que les vacances exotiques, la cuisine domestique plutôt que les sorties régulières au restaurant, la voiture familiale plutôt que la berline ou le coupé de sport, etc…

La chasteté
De quoi s’agit-il? Simplement de l’abstention de relations sexuelles pendant la période du mois où l’épouse est féconde ou seulement susceptible de l’être, dans la mesure où les époux estiment en toute conscience et liberté que dans leur situation actuelle, il n’est pas souhaitable pour eux et leur famille de donner la vie. Cette continence périodique est une réelle exigence dont on peut, il est vrai, être tenté de se dispenser par le recours à la contraception.
Il est souvent plus facile de renoncer définitivement à l’exercice de sa sexualité que d’y renoncer régulièrement chaque mois pour respecter le rythme de fertilité de l’épouse lorsqu’une nouvelle naissance n’est pas souhaitable, ou pour des durées qui peuvent être plus longues et dont l’échéance est incertaine dans le cas de maladies, de grossesses difficiles ou de contraintes professionnelles qui forcent à des absences…La chasteté conjugale ne doit pas s’entendre exclusivement sur le registre de l’abstention, celle-ci fût-elle périodique. Le respect du corps de l’autre que signifie la chasteté exige le respect des droits au corps et donc de se rendre disponible pour des unions lorsque celles-ci sont possibles, car c’est dans l’union des corps que les époux consolident et vérifient leur amour.
L’obéissance La soumission réciproque que Jean-Paul II énonce comme une exigence de l’amour authentique qui interdit toute espèce de soumission unilatérale (11 août 1982) n’exclut pas de tenir compte dans cette soumission de l’amour de ce qui caractérise la masculinité et la féminité. Si la psychologie masculine est plutôt marquée par la rationalité, la soumission de l’épouse doit tenir compte de ce signe de la vocation masculine. Inversement, si la psychologie féminine est plutôt dominée par le cœur qui, selon le mot de Pascal « a des raisons que la raison ne connaît pas », cela signifie que le mari doit reconnaître en sa femme cette autorité du cœur qui est son privilège.
La sainteté est donc possible dans le mariage- c’est ce que Jean-Paul II a voulu signifier clairement par la béatification des époux Beltrame-Quatrocchi-, elle n’est pas réservée à ceux qui font profession de vie religieuse. Elle est surtout possible par le mariage à condition que les époux s’appliquent à vivre, non selon l’esprit du monde, mais selon l’esprit des conseils évangéliques, quitte à être pour le monde des signes de contradiction.


L’appel à la sainteté

La responsabilité du salut de l’autre
Si le mariage est réellement une vocation et s’il est une voie de sainteté qui engage ensemble les époux, alors il s’en suit une terrible conséquence : les époux deviennent mutuellement responsables du salut de l’autre et de sa sainteté. Si, leur vie durant, ils s’appliquent à faire converger leurs désirs, des plus humbles aux plus élevés jusqu’à ne plus faire qu’un seul cœur, s’ils tentent par une conquête acharnée de la chasteté à ne plus faire, la grâce aidant, qu’un seul corps de façon à ce que devienne réel pour eux ce « os de mes os , chair de ma chair », ce premier chant d’amour de l’humanité que Jean-Paul II appelle « le prototype biblique du Cantique des Cantiques » (14 novembre 1979), ils doivent tendre aussi à n’être qu’un, au plus profond d’eux-mêmes, dans ce lieu mystérieux de l’intimité la plus réelle avec celui qui est pour l’un et pour l’autre l’unique Seigneur, à n’être plus qu’une seule âme.

Comme l’exprimait avec un réel talent pédagogique le père Finet dans ses mémorables retraites fondamentales : le Père est tout l’amour donné, le Fils est tout l’amour reçu, l’Esprit Saint est tout l’amour échangé du Père et du Fils. De ce mystère, l’homme et la femme, par le don inscrit en eux, sont l’image dans le mariage. Ils ne cessent d’être eux-mêmes et ils sont appelés à être don total d’eux-mêmes et ils deviennent d’autant plus eux-mêmes qu’ils sont davantage donnés l’un à l’autre, qu’ils deviennent davantage relatifs l’un à l’autre. « L’affirmation de la personne n’est rien d’autre, affirme Jean-Paul II, que l’accueil du don : un don qui, par sa réciprocité, crée la communion des personnes » (16 janvier 1980) et ainsi l’homme et la femme réalisent la plénitude de leur humanité, leur essence profonde, telle que l’exprimait le dernier concile dans cette formule admirable de concision : « L’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne se trouve pleinement que dans le don sincère de lui-même. » (Gaudium et Spes, no.24).

Le devoir conjugal
N’y aurait-il pas un « esprit » du devoir conjugal comme il y a un « esprit du devoir dominical? Si on considère l’obligation de participer au moins chaque dimanche à l’eucharistie que sous l‘angle uniquement juridique de l’obligation, on risque de verser dans un formalisme étroit qui confine au pharisaïsme. Mais on peut également considérer cette obligation que nous fait l’Église comme une miséricorde à notre faiblesse. C’est précisément parce que l’Église connaît la faiblesse du cœur humain et comment l’amour peut s’y tiédir et même s’y refroidir, qu’elle nous fait cette obligation comme un ultime recours pour nous éviter l’hiver de l’amour. Elle nous fait une obligation du devoir dominical comme un minimum vital de l’amour de Dieu afin de nous éviter –par paresse, distraction, ennui, tiédeur- de nous détourner totalement de l’amour. Si elle énonce cette obligation à laquelle nous ne pouvons nous soustraire sans raison majeure sous peine de péché grave, c’est parce qu’elle sait que la peur de la sanction est le dernier rempart à opposer à notre faiblesse. Si elle nous impose cette règle, c’est pour que nous nous maintenions dans les dispositions minimales susceptibles de nous ouvrir pleinement à l’amour. En ce sens, l’Église se révèle à la fois mère et maîtresse, mater et magistra.
N’est-il pas possible de considérer le devoir conjugal d’une manière semblable au devoir dominical? Nous avons en effet toutes sortes de bonnes raisons de nous soustraire aux obligations de l’amour : fatigue, manque de temps, enfants malades, obligations sociales, impératifs professionnels, engagements associatifs, ou tout simplement paresse, manque d’attention à l’autre, usure de l’amour…Et en ce cas le rappel du devoir conjugal peut s’avérer salutaire pour nous éviter de tomber peu à peu et de manière insidieuse dans l’indifférence à l’autre. Allons plus loin, si possible, et même si c’est difficile et délicat : pourquoi l’exigence de ce devoir conjugal mérite d’être rappelée peut-être d’abord aux épouses? Tout simplement parce qu’elles peuvent plus facilement se passer de l’union des corps que leurs maris. Elles peuvent même voir dans cette abstention une plus grande pureté de leur vie conjugale. Funeste illusion qui ne manquera pas d’entretenir celui qui depuis les origines refuse de servir le plan d’amour de l’incarnation! Dangereuse méprise sur la psychologie masculine qui feint d’ignorer qu’un homme a besoin de l’union physique, non pour d’abord libérer ses pulsions sexuelles, mais tout simplement pour dire son amour et être convaincu de l’amour de sa femme. Et pourquoi ne pas le dire simplement : il y a aussi, principalement chez l’homme, les besoins du corps quand l’habitude est prise de l’exercice de la sexualité. Si les maris sont tenus de respecter, au nom de la chasteté, le corps de leurs épouses en se pliant aux exigences du cycle de leur fertilité, n’incombe-t-il pas aussi aux épouses, au nom de cette même chasteté, de respecter les appels du corps de leurs maris en se rendant disponibles lorsque l’union des corps est possible? Ainsi considéré, le devoir conjugal devient réellement un commandement de l’amour et non plus pour l’homme une manière d’imposer sa domination au nom de la revendication de ses « droits d’époux ».

Bienheureux devoir conjugal qui nous rappelle que nous sommes faits pour le don de nous-mêmes à l’autre et que ce don implique celui de nos corps et ne saurait le négliger ! Bienheureux devoir conjugal qui nous évite de nous prendre trop facilement pour des anges et qui nous rappelle les droits du corps! Bienheureux devoir conjugal qui nous évite de nous laisser distraire des exigences de l’amour effectif! De même que le devoir dominical nous invite à mettre l’eucharistie au centre de notre vie spirituelle et nous rappelle qu’elle prime sur toutes les autres manières d’utiliser le temps du repos dominical, le devoir conjugal nous force à la vigilance afin de nous éviter de nous laisser envahir par tout ce qui peut nous détourner d’une intimité physique vitale pour entretenir l’amour mutuel.

Le remède à la concupiscence
La maîtrise de soi- la chasteté- est plus difficile dans le mariage que dans le célibat qui n’est pas exposé aux mêmes tentations. Aux prêtres, religieux et religieuses qui en douteraient, qu’il suffise de leur rappeler qu’ils n’ont pas une femme ou un homme dans leur lit tous les soirs! Le mariage expose beaucoup plus que le célibat aux « tentations de la chair », et c’est normal. L’exercice effectif de la sexualité, sain et souhaitable dans le mariage, engendre des habitudes, suscite et entretient des fantasmes, dont sont normalement épargnés ceux qui vivent dans le célibat pour peu que leur vie soit quelque peu ordonnée à cet égard. Ce qui ne veut bien évidemment pas dire que le respect de la chasteté dans le célibat n’exige pas de combats, surtout à l’heure actuelle. Le mariage n’est pas fait pour apaiser la soif des relations sexuelles, laquelle il ne fait d’ailleurs qu’attiser. Qu’est-ce qui, dans le mariage, peut être considéré comme un remède à la concupiscence? Et d’abord, qu’est-ce que la concupiscence? C’est la marque laissée par le péché des origines et qui nous porte à rechercher notre bonheur dans l’excès des biens du monde : l’avoir, le pouvoir, la jouissance.
C’est donc le sacrement de mariage qui- entre autres effets- est un remède à la concupiscence, pas l’usage du mariage, c’est-à-dire l’activité sexuelle elle-même. Lorsqu’on dit que le mariage est remède à la concupiscence, c’est parce que la grâce du sacrement de mariage vient soigner le cœur blessé de l’homme et de la femme par le péché des origines et vient extirper peu à peu de leurs cœurs blessés les racines de la concupiscence, pour peu qu’ils soient réceptifs à cette grâce.

Le permis-défendu
Il est des questions que se posent les personnes mariées quant à la légitimité dans leurs relations charnelles de certains gestes, baisers ou caresses…On se heurte ici à une double difficulté. D’abord celle du formalisme ou du légalisme : tout traduire en termes de « permis-défendu ». On voit bien la tentation : celle de disposer de normes claires et objectives, de nature à tranquilliser la conscience si on s’y conforme et de l’inquiéter légitimement si on les transgresse.
Deuxième difficulté : celle de la différence de sensibilité entre l’homme et la femme par rapport au vécu de l’intimité sexuelle. Bien que la sensualité d’une femme puisse être très aiguisée, elle est d’ordinaire moins « sexuelles » que celle de l’homme et une femme peut, sinon répugner, du moins être gênée ou choquée par certains gestes ou caresses procurés ou sollicités. L’homme, de son côté, peut ressentir frustration et insatisfaction devant les sollicitations auxquelles il n’est pas donné de réponse ou seulement avec réticence et réserve. Le père Finet dans sa traditionnelle conférence de fin de retraite sur les réalités charnelles de la vie conjugale : « Tout ce qui concourt, de près ou de loin, à la vraie communion charnelle des époux est bon, sain, légitime et doit être recherché et procuré; tout ce qui, de près ou de loin, dispose au repliement sur une jouissance égoïste ou à la domination de l’autre est néfaste et doit être prévenu et évité. Cela appelle au moins sept points de commentaire :

✔ 1. De loin : cela va des vêtements- y compris les sous-vêtements- aux manifestations de tendresse…. Pour une femme, une lingerie de qualité n’est pas un luxe! On n’est pas d’autant plus une bonne épouse chrétienne que l’on se contente de dessous « réfrigérants ». Une bonne eau de toilette (c’est-à-dire celle qui plaît à l’autre) comme une bonne hygiène corporelle font partie également de ce qui dispose à l’union. L’homme a souvent besoin de comprendre et d’admettre que pour une femme la tendresse fait partie des préliminaires lointains de l’acte sexuel et qu’une femme ne peut se donner vraiment dans son corps sans y être patiemment disposée, souvent par des gestes ou des attitudes qui n’ont pour lui qu’un rapport très lointain avec le don des corps : une attention, un service, un bouquet de fleurs..

✔ 2. De près : il s’agit de tous les préliminaires sexuels, lesquels ne sont pas facultatifs, surtout pour l’épouse, et préparent les corps au don. Mais tout cela n’est légitime que pour autant que cela conduise à la communion. Et c’est là qu’il faut faire preuve de lucidité. Car si tout ce qui dispose à la communion doit être recherché et procuré, ce qui conduit au repliement égoïste sur le seul plaisir personnel est à réprouver. Un vrai discernement est donc nécessaire, qui n’est pas facile, il est vrai, et auquel seule une vraie vie spirituelle peut disposer. C’est à chacun des époux de discerner clairement- et même impitoyablement- ce qui est de l’ordre d’un repliement égoïste et ce qui est de nature à accomplir pleinement la communion. C’est dans cette lumière que certaines caresses ou baisers intimes, voire très intimes, peuvent être bons, non seulement s’ils sont librement souhaités de part et d’autre, mais si, dans le moment où ils sont donnés et reçus- ils favorisent la communion. Pour autant la gêne qui peut s’emparer de l’un ou de l’autre à la suite de baisers ou de caresses intimes n’est pas la mesure unique de ce qui convient ou de ce qui doit être évité. Cette gêne peut simplement provenir d’une insuffisante acceptation de son corps et d’une réticence à le livrer complètement. Il est vrai que cet apprivoisement de son corps et de celui de l’autre est le plus souvent une œuvre de longue haleine, que la conquête d’une vraie liberté des corps demande un patient apprentissage et que l’on n’y parvient qu’au bout de plusieurs années, voire dizaines d’années, de vie conjugale. C’est d’autant plus vrai qu’il y aura eu dans l’histoire de l’un ou de l’autre époux des blessures d’ordre sexuel qui mettent de très longues années à guérir totalement.

✔ 3. La prudence et la mesure ne sont pas exclues pour favoriser la communion. Ainsi des caresses intimes procurés à l’épouse et qui la conduisent à éprouver son plaisir avant que l’union des corps ne soit complète peuvent constituer des entraves à la communion car l’épouse peut, étant satisfaite, ne plus avoir le même désir d’accueillir en elle son époux. Il faut bien voir que les préliminaires sont des préliminaires…à l’union. Et par conséquent prendre garde à ces préliminaires qui deviennent tellement prenants que d’une certaine façon ils finissent par être recherchés plus pour eux-mêmes et pour le plaisir qu’on en retire qu’en vue de l’union. Il y a là une dérive possible sur laquelle doit être exercée une réelle vigilance.

✔ 4. La communion n’est complète que si elle est ouverte à la vie. Il ne peut y avoir de communion vraie dans des actes qui détournent le don du corps de sa finalité ou le privent volontairement de cette finalité. C’est pourquoi, en dehors de la question de la contraception, des caresses, des baisers ou des pratiques qui aboutiraient à ce que la semence de vie de l’époux soit déposée en dehors du réceptacle de vie de l’épouse doivent être rigoureusement exclus.

5. La communion authentique exclut toute forme de domination. Or il peut y avoir une forme subtile de domination de l’autre dans le fait de chercher à « le faire jouir ». Si le plaisir sexuel est une chose bonne qui peut- et même doit- légitimement être recherchée, il ne doit pas être un moyen de s’imposer à l’autre en profitant de la vulnérabilité dans laquelle peut le mettre le fait d’éprouver du plaisir. C’est ce qui doit guider dans le choix des positions : certaines disposent davantage que d’autres à la communion. Tout ce qui privilégie la communion par tous les sens du corps- et notamment par l’échange des regards- est meilleur que ce qui en détourne. Même s’il faut faire preuve d’une certaine liberté à cet égard, d’où l’inventivité peut ne pas être exclue, il faut reconnaître qu’il est des positions qui sont objectivement humiliantes soit pour l’épouse soit pour l’époux. Les adopter doit conduire à se demander si l’on n’est pas davantage dans une logique de domination de l’autre que dans la recherche de la vérité de la communion.

✔ 6. Le plaisir n’est pas un but, mais un fruit. Le but de l’union physique, c’est le maximum de communion, pas le maximum de plaisir. Il peut y avoir des actes de don des corps qui n’atteignent pas à une plénitude du plaisir mais qui peuvent produire la communion. Réciproquement, l’expérience commande de reconnaître que l’on peut atteindre à un paroxysme de plaisir sans pour autant atteindre à la plénitude de la communion. En revanche, la communion réalisée donne une saveur toute particulière au plaisir qui devient proprement une joie des corps.

✔ 7. Viser à réaliser la communion la plus accomplie exige une vraie écoute et attention à l’autre. Or on est disposé différemment à l’égard de l’union des corps en fonction d’une foule de facteurs que la femme ressent plus profondément que l’homme car elle est beaucoup plus sensible que lui à tout un ensemble d’influences : le temps qu’il fait, l’atmosphère des lieux, la tension psychologique, la période de son cycle menstruel, les soucis, la fatigue, etc. Ce qui implique que l’on ne peut espérer réaliser une vraie communion en vivant l’union des corps dans une sorte de morne répétition ou la routine de l’habitude. Énonciation de ses envies, prise en compte de celles de l’autre, acceptation de se livrer soi-même dans le don des corps et pas seulement de se « prêter », inventivité, surprise de l’autre, tout cela constitue autant d’exigences d’un vécue authentique de l’amour, des exigences qui ne sont pas facultatives mais qui relèvent des obligations de charité attachées à l’état de vie des époux et au vécu intégral de leur vocation propre.

C’est vraiment le résultat d’une vraie maturité spirituelle et affective que de permettre un juste discernement en la matière. On s’aperçoit alors que l’espoir d’une règle extérieure, purement formelle, en termes de « permis-défendu », s’avère une illusion. En réalité, tout dépend des personnes, de leur situation, de leur sensibilité, de leur éducation, de leur histoire, des âges de la vie. Et c’est dans chaque union des corps, qui est chaque fois différente, qu’il faut exercer- sous le regard de Dieu, ce discernement.

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